Si vous montez au premier étage de la BAI, vous trouvez, entre un livre de notes de voyages, Là-bas et ailleurs, de Mitchi (1890) et la Vie de Jésus de Ernest Renan (1863), l’ouvrage de Louis Figuier, Les grandes inventions modernes dans les sciences, l’industrie et les arts, ouvrage à l’usage de la jeunesse, éditions Hachette (1880). Un superbe livre de 560 pages illustrées de 400 gravures sur bois excellentes.
La préface est clairement orientée, en cette fin du XIXe siècle :
“Les ouvrages destinés à la jeunesse n’ont guère eu jusqu’ici pour sujet que la morale, l’histoire ou les contes instructifs. Il nous a paru que l’exposé élémentaire des grandes inventions scientifiques modernes remplirait le même objet avec beaucoup d’avantages.”
Ce livre, passionnant pour connaître certaines idées de la fin du XIXe siècle, est une encyclopédie plus technique que scientifique. En effet, l’auteur se contraint à n’écrire aucune expression mathématique. Il y a, en revanche, quantité de descriptions de systèmes et d’appareils très bien dessinés.
Malgré le titre (… inventions modernes…) et sans doute à cause des destinataires, certains chapitres comportent des rappels d’inventions très anciennes, comme la clepsydre pour mesurer les durées et le papyrus pour la réalisation de manuscrits…
Le chapitre sur Les Horloges (17pages), présente tout d’abord la clepsydre, le sablier, le cadran solaire. Il continue avec la découverte de l’isochronisme des petites oscillations du pendule par Galilée (1582), invention qui fut mise en pratique par Christian Huygens (1660). Figuier insiste sur l’invention technique du ressort spiral par Huygens (fondamental pour la réalisation des futures montres) sans parler de sa démonstration, théorique, concernant l’isochronisme de son pendule avec cycloïde.
La Machine à vapeur, Les Machines à vapeur fixes, Les Bateaux à vapeur, La Locomotive et Les chemins de fer, Les Locomobiles se prélassent sur 92 pages. L’auteur mentionne, en particulier, les inventions techniques de James Watt sans trop insister sur celle du régulateur à boules qui est l’archétype des systèmes automatiques qui fleuriront au XXe siècle.
Le chapitre La Machine électrique, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne traite que de l’électricité statique. Il décrit amplement la bouteille de Leyde, premier condensateur électrique (Ewald von Kleist, 1745), ainsi que ses améliorations, avec une mention spéciale pour l’abbé Nollet. Les machines électriques dont il s’agit ici, sont des machines électrostatiques dans lesquelles un système de roue et de courroie, actionné manuellement, faisait tourner un globe de verre qui offrait la possibilité de générer des étincelles spectaculaires (1740).
Le chapitre sur La Pile Volta (1800) décrit en détail son invention. Ses utilisations mentionnées sont relatives aux effets physiques (un fil connecté aux bornes d’une pile chauffe ; allusion à ce qu’on appellera plus tard l’électro-aimant), aux effets chimiques (électrolyse, décomposition de l’eau), et enfin aux effets physiologiques (notons que Figuier était, à l’origine, docteur en médecine). Le dernier paragraphe signale l’expérience fondamentale d’Œrsted (1820) qui ouvre l’ère de l’électromagnétisme, mais l’auteur ne semble pas connaître l’invention de la dynamo, en 1868, par l’Anglais Wilde, améliorée par le Belge Gramme (1869). L’invention qui rendra possible la production en puissance de l’électricité (utilisée en particulier dans les centrales électriques et les automobiles), à savoir l’alternateur, date de 1878 ; elle est un peu tardive pour l’édition du livre (1880).
Le Paratonnerre occupe 18 pages ! Cette invention importante de la fin du XVIIIe siècle est un bon exemple de domestication de la nature. Voici un extrait du chapitre :
“[Franklin] mit en avant cette hypothèse, qu’une verge de fer pointue élevée dans les airs, communiquant avec un conducteur métallique, en contact lui même avec le sol, pourrait peut-être enlever l’électricité aux nuages orageux, et prévenir ainsi l’explosion de la foudre.
Présenté à la Société royale des sciences de Londres, [le livre de Franklin : Lettres sur l’électricité] fut très mal accueilli par la docte assemblée, qui trouva souverainement absurde le projet de détourner la foudre avec quelques minces barres métalliques élevées en l’air. Cependant, malgré l’opinion défavorable de ce corps savant, les Lettres de Franklin obtinrent un grand succès en Angleterre, et bientôt dans toute l’Europe. La France surtout les accueillit avec enthousiasme. Notre grand naturaliste Buffon chargea un de ses amis, Dalibard, de traduire cet ouvrage de Franklin, et il prit soin d’en revoir la traduction. Il voulut, en outre, exécuter lui-même l’expérience proposée par Benjamin Franklin.”
Le Télégraphe électrique, belle utilisation de l’électricité, occupe un long chapitre qui va jusqu’à présenter, à l’échelle 1, la coupe d’un câble transatlantique.
“Pour mieux assurer ses rapports télégraphiques avec l’Amérique, l’Angleterre a multiplié ses câbles transatlantiques. En 1869 on en posa un troisième, et deux en 1874 ; de sorte qu’en 1876 on n’en comptait pas moins de cinq, partant tous de Valentia [en Irlande] et aboutissant à Terre-Neuve. La France n’a pas voulu rester en arrière de ce mouvement.
Une compagnie française fit fabriquer en Angleterre un nouveau câble océanien, et au mois de juillet 1868, le Great-Eastern, ayant chargé ce câble à son bord, le déroula au fond de l’Océan, avec un plein succès. La ligne transatlantique française part de Brest et va aboutir à l’île Saint-Pierre, d’où un autre câble la relie au continent américain.”
On comprend qu’à la fin du XIXe siècle, une place importante soit donnée à L’Art de l’éclairage. Le chapitre commence ainsi :
“L’huile brûlée dans les lampes, le suif moulé en chandelles, l’acide stéarique coulé en bougies, le gaz fourni par la décomposition de la houille, enfin des liquides combustibles connus sous le nom d’hydrocarbures, tels sont les divers produits qui servent à l’éclairage, public ou privé. Avant d’examiner ces diverses sources lumineuses, nous considérerons, à un point de vue général, la question de l’éclairage, en portant notre attention sur l’étude physique et chimique de la flamme, dans laquelle réside toute puissance éclairante.”
17 pages sont consacrées aux bougies et à l’huile ; 15 pages pour le gaz ; 6 pages, seulement, sur l’éclairage électrique. Pour ce dernier, très nouveau, Figuier décrit avec force détails les lampes à arc mais… porte un jugement négatif sur l’invention de la lampe à incandescence !
“Le célèbre inventeur américain Edison s’occupait […] par l’emploi de la simple incandescence d’un conducteur parcouru sans interruption par le courant […] En 1878, Edison crut avoir résolu ce problème […] Mais bien qu’annoncée avec grand fracas par les journaux, au commencement de l’année 1880, cette découverte n’a eu aucune suite [!].”
Notons que dans les dictionnaires actuels, les premiers essais d’éclairage à incandescence sont datés de 1835 (Lindsay) et de 1854 (Goebel), mais c’est Edison qui proposa la première lampe viable en 1878. Les sceptiques furent conquis en 1881 lorsqu’Edison installa un ensemble de 1 000 lampes dans une rue.
Les Aérostats occupent 31 pages (!) et rien ne laisse supposer que l’avion, encore utopique à l’époque, éclora dix ans après la parution du livre ! Figuier s’en donne ici à cœur joie dans l’évocation de maintes anecdotes souvent tragiques. Par exemple :
“Les ascensions du comte Zambeccari, de Bologne, furent marquées par de terribles péripéties. Zambeccari employait une lampe à esprit-de-vin pour chauffer l’air de son ballon. Dans une première ascension, la lampe à esprit-de-vin se brisa, et Zambeccari, en s’élevant dans les airs, fut enveloppé par les flammes. Il parvint heureusement a éteindre le feu, et redescendit vivant, mais affreusement brûlé.
Zambeccari périt en 1812, à Bologne, au milieu des airs, dans son ballon, que la lampe à esprit-de-vin avait incendié. Harris, Sadler, Olivari, Mosment, Emile Deschamps, Georges Gale, ont, de même, péri misérablement dans des ascensions aériennes. Mais faisons remarquer que l’inexpérience et l’imprudence des aéronautes ont été les principales causes de ces malheurs. En effet, le nombre des ascensions effectuées jusqu’à ce jour peut être évalué à plus de dix mille, et sur ce grand nombre on n’en compte guère plus de quinze qui aient été suivies d’un résultat fatal.”
La photographie (Joseph Nicéphore Niépce, Louis Daguerre, 1840) n’occupe que dix pages. Figuier décrit la photographie sur métal, sur papier, sur verre (1847). Il termine par la révolution de l’utilisation du collodion, à la place de l’albumine (1850, Legray à Paris, Archer à Londres), qui permet d’obtenir des négatifs en moins de dix secondes. On peut regretter que l’auteur ne signale pas l’énorme succès de la photographie comme art et comme commerce. On dénombre en effet plus de trois cents photographes répertoriés à Paris au XIXe siècle.
Le chapitre sur Le Téléphone (Graham Bell, 1877) se termine par des propos que l’on ne peut que saluer :
“… le lecteur demeurera convaincu de l’importance de l’avenir de la merveilleuse invention dont l’Amérique nous a dotés… Chacun fera certainement des vœux pour que le téléphone, qui essaye en ce moment ses premiers pas à Paris, obtienne une réussite complète, et pour que la France et l’Europe puissent jouir bientôt des nouveaux et inestimables avantages que la science vient ainsi apporter à la pratique de la vie.”
Le 33e et dernier chapitre est consacré au Phonographe que l’auteur semble bien connaître puisqu’il nous présente l’invention d’Edison (encore lui !) datant de 1878. L’auteur fait néanmoins honneur au Français Léon Scott qui aurait abordé le problème résolu par Edison, vingt ans auparavant.
On pourrait compléter cette histoire du phonographe avec l’adresse de Charles Cros à l’Académie des sciences d’un mémoire décrivant le principe d’un appareil de reproduction des sons (1877), qu’il nomme “paléophone“ (voix du passé), prototype du phonographe. Alphonse Allais prétend d’ailleurs avoir vu et entendu les sons restitués par un appareil construit par Charles Cros bien avant le modèle d’Edison. On pense généralement que Cros et Edison ne connaissaient pas leurs travaux respectifs.
Le chapitre et le livre se terminent par une remarque d’helléniste :
“En grec, le mot “jono“ ne veut pas dire “voix”, mais “meurtre“. En appelant phonographe ce nouvel appareil, on évoque donc une idée assez pénible. C’est le mot “jwnh“ qui signifie, en grec, “voix“. Il faudrait donc dire phonégraphe et non phonographe, si l’on voulait se conformer à l’étymologie.
Mais nous craignons bien d’être le seul de cet avis, et de prêcher notre grec dans le désert.”
Les sujets suivants sont également traités dans le livre : l’Imprimerie, la Gravure, la Lithographie, le Papier, la Boussole, le Verre, les Poteries, la Faïence, la Porcelaine.
Cerise sur le gâteau, le livre est consultable sur le site :
http://iris.univ-lille1.fr/handle/1908/2814
Une illustration du livre :
Une conférence donnée à la BAI par Francis Bailly apporte des éléments complémentaires à ce tableau. Sous le titre La Science triomphante, elle offre, avec une verve pédagogique certaine, un panorama des découvertes et avancées scientifiques du XIXe siècle. Soirée de lecture n°131 du 12 février 2004.
Questions pour des visiteurs lycéens (première ou terminale)
– Quelles inventions scientifiques et techniques importantes (d’avant 1880) l’auteur a-t-il oubliées ou décidé de ne pas mentionner ?
– Y a-t-il sur le web un document équivalent pour aujourd’hui ?
– Quel chapitre vous semble-t-il particulièrement accessible et intéressant ?