par Hélène Personnaz
En mai 2006, Jean-Claude Yon, professeur à l’Université de Versailles Saint-Quentin, spécialiste de l’histoire culturelle des sociétés contemporaines, donnait à la BAI une conférence intitulée La démocratisation de la pratique musicale au XIXe siècle. La présence, dans les rayons de la bibliothèque, de quelques partitions destinées aux ensembles vocaux, lui permettait d’aborder le sujet des Orphéons, qui marquèrent fortement tant la pratique vocale qu’instrumentale, en groupe. À propos de Laurent de Rillé qui fut l’un des continuateurs de Wilhem, fondateur du mouvement orphéonique, Jean-Claude Yon notait que la passion pour sa mission au service de la pratique musicale l’avait conduit à écrire un roman, Olivier l’Orphéoniste, paru en 1861 chez Hachette. J’ai pu, comme indiqué par le conférencier, trouver le volume de 199 pages m’attendant sagement sur les rayons du 54 rue de Turenne. Solidement relié et de petit format, très vivant et soutenu de bout en bout par cette lancinante question : « Olivier va-t-il retrouver Mariette ? », il m’a fait passer comme un rêve quelques trajets métropolitains.
En 1861, année, on ne le répètera jamais assez, de la fondation de notre chère BAI, quelle était la vocation des Orphéons, nés en 1833 ? Si l’on en croit les premiers chapitres de notre roman, d’aider les désespérés à s’arracher aux vapeurs de l’alcool et à tous les maux qu’elles engendrent : paresse, violence, négligence physique. Il est vrai qu’Olivier, jeune forgeron habile et courageux, encaisse assez mal une déconvenue amoureuse. Il ignore que le dédain dont il se croit l’objet n’est que le fruit d’un stratagème honteusement ourdi contre lui par un jaloux. Il tombe dans le ruisseau. Heureusement, les suaves accents d’une chorale en répétition le sortent de son état et, comme il chante encore mieux qu’il ne forge, il devient l’étoile montante de l’Orphéon local. Lors de joutes musicales entre formations venues de toute la France, il contribue au succès de son groupe. Mais la renommée ne lui monte pas à la tête et, malgré de tentantes propositions de carrière en soliste, il préférera retrouver sa terre natale, la jeune fille qu’il a toujours aimée (et réciproquement) et le beau poste de directeur d’Orphéon. L’Orphéon aura eu, parmi autres vertus, celle de gommer les barrières sociales. En effet, la réussite musicale d’Olivier permet que sa candidature à la main d’une jeune fille bourgeoise soit envisageable. Il faut dire que la chose est un peu facilitée par le fait que le père de celle-ci a été ruiné. Pardon, j’oubliais qu’un retournement de dernière heure lui faisait retrouver son pactole.
L’argumentation périphérique sur les bienfaits de la pratique musicale m’a particulièrement intéressée. Ayant enseigné la musique dans le cadre de l’Éducation Nationale, j’ai souvent lu ou entendu justifier la présence de la musique dans les cursus scolaires pour des raisons autres que celle du droit de chacun d’accéder à un art. Ça aide au vivre ensemble ! Écoutez-vous les uns les autres ! Peace and music ! C’est vrai. Mais pourquoi tant d’insistance sur les vertus annexes ? Parce que l’émotion esthétique, l’affinement des sens, n’aurait peut-être pas toute sa légitimité ? Les arts plastiques me semblent moins chercher de respectabilité dans le moral ou le social. Il y a là un vaste terrain de recherche à investir. En attendant, vive Olivier l’Orphéoniste qui, malgré ma perfide analyse n’a pu être écrit que par un de ces hommes qui savent ce qu’est le plaisir de faire de la musique, ensemble. Et qui y a sans doute consacré toute sa vie.