Jules Radu, fondateur des « Bibliothèques Communales », précurseur de Jean Macé
Par Ernest Lefèvre
Tony Legendre, grand spécialiste de Jean Macé, et qui nous a proposé une remarquable conférence en février 1999 sur ce dernier (qu’on peut écouter avec intérêt sur le site de la BAI) a attiré mon intérêt sur Jules Radu, précurseur de Jean Macé, vers 1850.
Il m’a fait parvenir il y a quelques mois cet article, tiré d’un bulletin de 1959, depuis introuvable : « Le bulletin de la société d’études historiques, géographiques et scientifiques de la région parisienne » et écrit par un de ses membres : M. Ernest Lefèvre.
Cet article éclaire le bouillonnement d’idées existant au début du 19 è siècle, avant que ne se structurent les actions aboutissant aux créations des Bibliothèques populaires et de la Ligue de l’enseignement. Cette expérience, lancée par Jules Radu, même si elle n’a pas finalement réussi, témoigne d’un souci largement partagé, qui débouchera sur diverses réalisations plus pérennes dont les B.A.I. sont un des exemples. On notera qu’Ernest Lefèvre s’est concentré essentiellement sur la comparaison Radu-Macé mais ne fait aucune mention des Bibliothèques Populaires apparues à partir de 1860. Ces dernières étaient des associations d’ouvriers et d’artisans choisissant eux-même leurs livres, alors que Radu faisait la promotion de « Société de bienfaisance » (art.1 des statuts), avec en particulier un appel à la contribution des « Dames Patronnesses » (art.51).
L’usage de l’expression « bons livres » semble inviter à des recherches sur l’influence qu’aurait pu avoir ou non l’Œuvre des bons livres sur la réflexion de Jules Radu (voir sur le site de la BAI la conférence de Noé Richter sur l’Œuvre des bons livres de Bordeaux).
Dans la reproduction de cet article, je me suis efforcé de conserver la forme originale d’Ernest Lefèvre, avec sa précision, son expression et ses notes de bas-de-page. J’ai d’autre part travaillé sur une simple photocopie de l’article, et vous prie d’excuser les coquilles qui pourraient subsister.
On notera que nous détenons, à la B.A.I., 2 exemplaires de l’ouvrage de Jules Radu : « L’Instruction Elémentaire »
Michel Roszewitch
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Rappel Wikipedia : Jules Radu, né en 1810 et mort après 1883, est un écrivain et pédagogue français.
Jules Radu fonde en février 1848 une Société de bienfaisance, dite Société de bibliothèques communales et propagation des bons livres, dont l’objet est de doter d’une bibliothèque toutes les communes de France, d’Algérie et des colonies.
En 1850, il lance une souscription nationale pour l’impression d’une collection de cent volumes et pour la fabrication d’une étagère de rangement pour chaque commune de France. Sa sélection de livres s’inscrit dans l’esprit de la lecture utilitaire et son projet est à l’époque sévèrement critiqué par le Cercle de la librairie qui refuse de s’y associer. Mais son projet reçoit l’appui du ministère.
Six-cent-vingt-six communes seulement répondent à l’appel de Radu. Si son projet est un semi-échec, il faut lui reconnaître le mérite d’avoir lancé l’idée des bibliothèques communales et son souci de faire partager le savoir, mais avec les idées de son époque.
Il publia de nombreux ouvrages à compte d’auteur découlant tous d’une encyclopédie qu’il publia vers 1884 :
Astronomie – Géographie – Histoire universelle, Paris, 1884, par Jules Radu, chez l’auteur.
Instruction élémentaire. Lecture, écriture, calcul, grammaire, géographie, histoire générale, à compte d’auteur, 1863, 547 pp., format 23,5 x 15,5.
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« En 1862, il (Jean Macé) inaugure l’œuvre des bibliothèques populaires. Œuvre d’une immense portée, œuvre capitale, qui consistait à doter chaque école d’une « librairie » largement pourvue de livres utiles, et ouverte non seulement aux élèves, mais aux parents et à tout le monde. Tout de suite, ce fut le succès[1]
D’après les documents dont nous donnerons ci-dessous de larges extraits il apparaît qu’en tant que fondateur de bibliothèques populaires, Jean Macé (1815-1894) a eu un précurseur en la personne de Jules Radu.
L’œuvre fondée par Jules Radu avait son siège à Paris, 3, rue d’Alger, Ier, et c’est en ce sens qu’elle est du ressort de notre Société.
1- Jules RADU
Un texte du 19 mars 1851[2] , établi par le Ministère de l’Intérieur, nous permet de connaître les travaux de Jules Radu et d’avoir une idée d’une partie de sa vie. Il s’agissait d’examiner la situation des « Bibliothèques communales » et de « répondre aux calomnies répandues contre leur fondateur ». Le rapport de la commission constate d’ailleurs « une direction loyale et intelligente »
Jules Radu naquit à Paris en 1810. Nous ignorons la date de sa mort, mais son dernier ouvrage – en vente chez l’auteur, à Hyères, Var – paraît en 1883. Il était doué d’un caractère indépendant et d’une volonté énergique, et aurait appartenu à une famille honorable et fortunée.
Ses travaux se divisent en deux périodes :
a) De 1827 à 1840, Jules Radu est professeur de méthodes élémentaires.
En 1827, il visite une vingtaine de grandes villes de France : Avallon, Orléans, Blois, Tours, etc. … Les cours sont suivis dans les maisons particulières, les écoles du Gouvernement, les pensions et les couvents.
En 1837, plusieurs officiers de la maison du roi l’engagent à s’occuper de l’armée … Il passe toutes ses nuits pour se transporter d’une ville à l’autre ; pendant quatre ans, M. Jules Radu fait, par an, quatre à cinq mille lieues, toutes de nuit. Près de 8.000 hommes, officiers, sous-officiers et soldats, suivent ses cours[3].
Ainsi, pendant treize ans, il vit de son travail dont le produit est employé à l’éducation de ses enfants. Ensuite commence pour lui une existence des plus pénibles.
b) A partir de 1840, Jules Radu consacre ses forces aux œuvres de bienfaisance et à la publication de ses ouvrages,
En 1841, il fonde une « Association pour l’Extinction du paupérisme ». Cette société est composée des hommes les plus considérables du pays.
L’œuvre a pour but, au moyen de souscriptions, de fonder des établissements où l’on élèvera des enfants pauvres[4]
Ceux-ci recevront une « instruction élémentaire (que nous appellerions maintenant une instruction
primaire).
A cet effet, Jules Radu publie un ouvrage fort estimé traitant de la religion, de la lecture[5], de l’écriture[6], du calcul, de la grammaire, de la géographie et de l’histoire générale.
Ce cours est répandu dans l’armée, la marine, les usines et les manufactures.
Jules Radu réunit par compagnies ou par atelier, en présence de leurs chefs, près de deux cent mille hommes, soldats, matelots et ouvriers, pour entendre l’exposé de son ouvrage, destiné à moraliser leurs familles[7]
c) En 1846, il songe à créer la société des « Bibliothèques communales» [8]
Une année est employée à une foule de démarches pour réunir un patronage imposant par le nombre et la distinction de ses membres. Jules Radu obtient la protection du pape, du roi Louis-Philippe, de Guizot et des ministères. Les Bibliothèques seront répandues dans les communes au nom du jeune comte de Paris … La Révolution de février 1848 livre Jules Radu à ses seules ressources qu’il épuise.
En 1849, un héritage lui permet de donner suite à son projet. Sur un patrimoine de 60.000 F, il en consacre la moitié à son œuvre.
Enfin, aucune idée de spéculation n’étant jamais entrée dans sa pensée, il entend rester complètement étranger à tout bénéfice, à quelque titre et sous quelque forme que ce soit, se réservant seulement la part de gloire qui revient à l’homme qui a fait quelque chose pour son pays.
2.Fondation de la « Société des Bibliothèques communales » (1850)
Pour que nous puissions constater qu’il s’agissait d’une tentative importante et sérieuse, nous allons vous donner, en ce qui concerne cette Société des Bibliothèques communales, un certain nombre de précisions. Voici d’abord un
a) Extrait des statuts :
Les statuts, examinés par des membres du Conseil d’Etat, ont été officiellement déposés au Ministère de l’Intérieur le 22 février 1848[9]
Le Conseil s’est réuni au Palais de l’Elysée, le 3 mars 1850[10] et au Ministère de l’Intérieur, le 17 mars et le 9 février 1851.
La première séance a été recueillie par : M. Vignon, ancien Sténographe-Rédacteur à la Chambre des Pairs.
TITRE PREMIER. – FONDATION
ARTICLE PREMIER. – Il est fondé à Paris, entre toutes personnes; qui adhéreront aux présents statuts, une Société de bienfaisance dite : Société des Bibliothèques communales et Propagation des Bons Livres.
L’œuvre a pour but de doter d’une Bibliothèque tontes les communes de la France, de l’Algérie et des Colonies[11].
Un Comité d’hommes spéciaux et désintéressés sera formé pour arrêter le catalogue.
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ART. 7. — Les Bibliothèques, propriété des communes, sont déposées, selon la décision du Conseil municipal : au Presbytère ; – à la Mairie ; – aux Ecoles primaires de filles et de garçons ; – aux Ecoles de l’Armée, de la Marine, des Usines et des Manufactures ; – aux Ecoles des Frères, des Sœur s, des jeunes détenus el des maisons centrales de détention ; – aux Hôpitaux et Hospices .
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TITRE IV. – MODE DE SOUSCRIPTION
ART. 39. – Le minimum de la souscription est fixé, par personne, à 1 F par an..
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ART. 41. – Les souscriptions se font sur un registre à souches, par numéros d’ordre. Le versement se fait en donnant la signature.
Les registres à souches sont ouverts : à Paris, au siège de la
Société, 3, rue d’Alger. ·
En province, dans les Bureaux de toute Administration publique.
A l’étranger, aux Chancelleries françaises.
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ART. 48. – Il est créé un Livre d’honneur pour conserver les noms des souscripteurs et leurs dons. Chaque souscripteur, quelle que soit sa position – sociale, y est nominativement porté. Le Livre d’honneur, déposé à la Mairie. devient un contrôle des recettes.
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ART. 51. – Les Dames, de toutes les villes, en France et à l’étranger, sont instamment priées de se réunir en Comités, à titre de patronage, pour propager l’œuvre.
TITRE V. – EMPLOI DES FONDS
Toutes les industries de la librairie seront appelées à participer à la fourniture des ouvrages destinés aux communes. (Décision du Conseil de l’œuvre, en date du 9 février 1951).
b) Exposé de Jules Radu (3 mars 1850) :
Le 3 mars 1850[12] Jules Radu expose officiellement le but qu’il poursuit[13] : « Fondation des Bibliothèques communales. Propagation des Bons Livres :
Exposé présenté par M. Jules Radu au Conseil de l’œuvre réuni au Palais de l’Elysée, le 8 mars 1850
En 1846, nous avons fondé la Société des Bibliothèques communales, Nous avons été à Rome solliciter le patronage du Saint-Père : admis en audience particulière le 12 décembre, sa Sainteté nous a témoigné toute sa sympathie pour cette œuvre de civilisation.
Personne ne peut prévoir l’heureuse influence qu’une bonne Bibliothèque peut exercer sur l’avenir des communes.
La propagation des bons livres est un moyen de combattre l’ignorance, l’une des causes du désordre qui étonne et afflige la société.
L’avenir des peuples se révèle dans l’histoire : l’expérience des siècles est une puissante école. Ce ne sont pas les révolutions à coups de canon qui enseignent nos devoirs envers Dieu, la patrie, la famille. La source de toute réforme est dans l’Evangile, loi du Christ, loi sublime, loi reconnue par la conscience même du criminel. Une éducation morale et religieuse fait naitre les sentiments nobles, grands, généreux ; l’instruction développe l’intelligence, l’ignorance ou la propagation des doctrines perverses conduit à ces passions honteuses qui dégradent l’humanité, et dans la vie, où tout s’enchaine, les plus grands efforts prennent leur source dans les plus petites causes : l’homme sans état qui mendie, qui est au bagne, s’il avait reçu une bonne éducation, cet homme aurait un état, il ne mendierait point ; cet homme ne serait peut-être pas au bagne … L’ignorance peut conduire à la misère, et la misère est souvent la source de tous les crimes ; les méchants ne sont que des malheureux privés de la raison ; il faut les traiter comme des aliénés, avec toute sorte de soins et un régime moral.
La Bibliothèque communale sera le guide des familles pour l’éducation et l’instruction des enfants ; elle vient guider les classes laborieuses et combattre le colportage des mauvais livres, véritable fléau des campagnes.
Si l’amélioration d’une nation dépend de l’éducation des enfants, on ne saurait trop apporter de soins dans le choix des instituteurs primaires, et leur inspirer ce sentiment de dignité qui fait considérer un emploi comme une mission dans l’intérêt de l’humanité.
On doit s’occuper davantage de l’éducation des femmes. La mère élève son enfant, lui donne ses premières impressions ; elle exerce une grande influence sur la famille ; il est important de donner une éducation et une instruction à la hauteur de cette influence.
La Bibliothèque communale renferme les meilleurs ouvrages sur l’agriculture.
On doit faire tous ses efforts pour diriger vers l’agriculture cette génération qui va se perdre dans le gouffre des grandes villes. C’est vers l’agriculture que l’on doit porter toutes, les espérances de bien-être, La première richesse d’un pays est dans le sol ; l’agriculture occupe les deux tiers de la population ; c’est donc, de toutes les industries, celle qui mérite le plus de faveur. Si la terre produit en proportion du nombre de bras qui la cultivent, le commerce prendra des développements proportionnés à ceux de l’agriculture ; l’industrie manufacturière y trouvera d’immenses avantages, le régime alimentaire des classes laborieuses une amélioration notable et l’existence d’un grand nombre de familles ne sera plus mise en question aux moindres crises commerciales.
La Bibliothèque communale apporte une source de connaissances aux habitants des campagnes. MM. les Curés et les Maires, secondés par les instituteurs, la rendront utile aux habitants, soit en leur facilitant les moyens de lire dans la Mairie, soit en organisant, le dimanche, les jours de fêtes et surtout pendant les longues soirées d’hiver, des réunions publiques où des lectures à haute voix pourront amuser, instruire et moraliser.
Ces réunions seront suivies avec empressement. L’homme plongé dans l’ignorance, trouve insensiblement du plaisir à écouter une lecture ; sa mémoire a retenu quelque chose, il veut en apprendre davantage ; il ne sait pas lire, mais il s’occupera de l’instruction de son enfant. Ces réunions se termineraient par une bonne morale : << Les éléments du bonheur sont le résultat de la conduite ; la santé dépend de la sobriété ; l’aisance consiste à ne pas se créer d’inutiles besoins ; la paix de l’âme est tout entière dans l’estime de soi-même et toujours en la confiance d’un Dieu juste et bon qui tient compte il chacun de l’accomplissement de ses devoirs. »
Nous avons confiance dans l’avenir. Le jour n’est peut-être pas éloigné où la révolution morale que les honnêtes gens attendent s’accomplira. Le christianisme a répandu dans l’univers les bienfaits d’une religion qui interdit de jamais désespérer de l’humanité. En enseignant aux générations, la morale de l’Evangile, philosophie divine, source inépuisable de charité, le christianisme il semé le sentiment du bien dans le cœur des peuples ; le temps est venu, mettons-nous à l’œuvre, cherchons tous les moyens pour améliorer la moralité et l’existence des classes laborieuses, bonne et excellente terre qui, bien cultivée, produira de bons fruits,
La fondation des Bibliothèques a donc pour but, et nous ne saurions trop le répéter, d’éclairer et de moraliser les peuples ; de leur apprendre que ce sera toujours par la force morale de la religion, et non par la violence d’une insurrection, que les classes laborieuses arriveront progressivement au bien-être vers lequel tend la marche de l’humanité. »
3- Les appuis moraux et matériels
a) L’appui du Gouvernement et de personnalités diverses,
Dès 1850, l’œuvre des « Bibliothèques communales » bénéficie de puissants appuis moraux. Le Président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, accepte << avec empressement >> d’en être le « protecteur ». Les « Bibliothèques communales » sont officiellement recommandées par le Gouvernement comme œuvre de bienfaisance et d’utilité publique (Moniteur du 31 mai 1850).
Le Ministère de l’Intérieur adresse une circulaire aux Préfets qui, eux-mêmes, par la voie du Recueil des Actes administratifs, engagent les Sous-préfets et les Maires à seconder la nouvelle Société.
Le Ministère des Finances autorise les receveurs et les percepteurs à recueillir les souscriptions.
Dans les premières lettres reçues par le Conseil de l’œuvre figurent les réponses de cinq évêques ou archevêques ; ils sont favorables au projet.
De nombreuses personnalités donnent leur approbation.
En particulier, voici ce qu’écrit à Jules Radu, le 24 mai 1850, M. Jomard, membre de l’Institut, Président honoraire de la Société pour l’enseignement élémentaire[14] :
« Monsieur, je ne peux pas ne pas adhérer à votre plan de Bibliothèques communales, moi qui vous ai vu, il y a plus de 20 ans, travailler à l’amélioration des méthodes d’enseignement et au progrès de l’ éducation populaire, et qui ai moi-même, il y a 30 ans, recommandé une institution de cette espèce et la confection de livres destinés à la masse des lecteurs. Vous avez fait mieux peut-être en composant votre Bibliothèque avec un choix judicieux fait parmi nos chefs-d’œuvre. Vos combinaisons sont ingénieuses et je fais des vœux pour que cette œuvre de bien réussisse.
b) Le Conseil de l’Œuvre.
Quels hommes forment le Conseil de l’Œuvre ?
Je recopie en partie la page 15 de l’édition de 1852[15].Vous y voyez figurer de hautes personnalités.
PRÉSIDENTS HONORAIRES
Son Eminence le Cardinal Fornari, Grand-croix de la Légion d’honneur, Nonce du Pape.
Le Maréchal de France, Comte Exelmans. Grand-croix de la Légion d’honneur, Grand Chancelier de la Légion d’honneur.
Le Comte Portalis, Grand-croix de la Légion d’honneur, de l’Institut, du Conseil de L’instruction publique, premier Président de la Cour de Cassation, ancien Ministre de la Justice.
Le Général de division Perrot, Grand-Officier de la Légion d’honneur, Commandant supérieur de la Garde nationale de la Seine.
PRÉSIDENT
Le Duc de Caumont La Force. Officier de la Légion d’honneur, Ancien Pair de France.
VICE-PRÉSIDENTS
Le Duc de La Rochefoucauld-Doudeauville, Grand-croix de la Légion d’honneur, ancien Député.
Orfila, Chevalier (?) de la Légion d’honneur. Conseiller de l’Université, Doyen de la Faculté des Sciences.
SECRÉTAIRES
Jules Radu, fondateur de l’œuvre.
Le Docteur Mauruc, du Bureau de bienfaisance (8è arrondissement).
MEMBRES DU CONSEIL
Le Conseil comprend 15 personnes. Presque toutes sont titulaires de la Légion d’honneur ; 5 sont membres de l’Assemblée législative ; un est membre de l’Institut (Paulin-Paris) ; un est proviseur de Lycée (Poulain de Bossay, Lycée Saint-Louis). Le directeur est M. Faye, de Bordeaux, ancien imprimeur-libraire.
c) Le Comité de patronage et les premiers souscripteurs.
Environ 150 personnalités apposent leur signature pour affirmer que la fondation des Bibliothèques communales est une œuvre de bienfaisance et d’utilité publique. Parmi les plus connues citons : Champollion, Changarnier, Defaucompret (le directeur du Collège Rollin), Isabey, de Tocqueville, Viennet, le comte Alfred de Vigny,
Les 144 dames patronnesses fondatrices sont presque uniquement des nobles. Nous relevons les noms d’une princesse de Broglie et de Marceline Desbordes-Valmore.
La première liste de patronage et de souscripteurs pour le Département de la Seine, arrondissement de Paris », indique 442 personnes, appartenant en général à la noblesse et à la bourgeoisie. Remarquons une douzaine d’ecclésiastiques, un pasteur, le grand rabbin, quelques professeurs, 32 membres de l’Institut. Très peu de gens du peuple ; 3 seulement : un employé, Chodzko (5 F) ; un menuisier, Delaporte (3 F) ; un marchand de bois, Saintard (5 F).
Nous relisons, parce qu’ils sont célèbres, les noms suivants :
Auber, Daubigny, Alexandre Dumas, Alfred de Musset, Casimir Périer, Pradier, Scribe.
Les versements individuels s’échelonnent de 1 F à 50 F.
Des cotisations collectives sont remises de la part des huissiers, du cercle du commerce, des commissaires-priseurs, des hommes de loi, des notaires. A. Billot, au nom de la Compagnie des agents de change, effectue le plus fort versement : 300 F.
d) Circulaire aux Maires des 37.000 communes (15 novembre 1850).
Le but primitif est de commencer par l’impression de 100 volumes[16], de fabriquer les meubles nécessaires pour les ranger et ainsi de doter les 37.000 communes d’une Bibliothèque.
La collecte des fonds est minutieusement préparée.
Jules Radu a publié son programme le 3 mars 1850. Le 15 novembre 1850, il adresse son premier envoi de prospectus, circulaires et feuilles à souches à 45.000 autorités religieuses, civiles et militaires.
L’appel est contresigné par le président : duc de Caumont La Force, ancien pair de France.
Voici ce qui est proposé aux Maires
« Nous pensons que l’on ne s’occupera sérieusement de nous seconder qu’après avoir vu une Bibliothèque par canton et s’être convaincu que les ouvrages sont rédigés en dehors de tout esprit de parti. Nous venons soumettre notre catalogue à l’approbation des Conseils municipaux. Ce catalogue a été examiné avec soin ; mais nous ne voulons pas l’imposer ; il serait donc nécessaire de nous indiquer les ouvrages que le Conseil jugerait inutiles, ceux qui devraient les remplacer, ainsi que les meilleurs traités d’agriculture : nous nous conformerons à l’avis de la majorité[17] .
« Pour établir une Bibliothèque aux prix arrêtés par nos statuts, il faut, au minimum, un nombre de 3.000 exemplaires et une souscription de 365 F par canton … », soit en moyenne 30 F par commune. Cette souscription devra être renouvelée pendant 5 ans.
Les fonds peuvent être recueillis en peu de jours.
« Dès que l’autorité locale aura pu constater, après l’examen d’hommes compétents, que les ouvrages sont destinés à exercer une heureuse influence sur l’avenir du pays, nous avons l’intime conviction que tous les habitants s’empresseront de souscrire, que les riches propriétaires en feront immédiatement l’acquisition pour en doter leur commune, que d’autres Sociétés de bienfaisance se formeront dans le même but, concurrence que nous appelons de tous nos vœux. C’est ainsi, qu’en moins de deux années, les 37.000 communes peuvent recevoir leur Bibliothèque … »
« Nous ne nous faisons pas la moindre illusion sur les difficultés qui nous attendent : la misère, la méfiance et l’indifférence. Mais la misère ne refusera pas un franc par an[18] à une œuvre aussi utile ; la méfiance doit être rassurée en présence d’un patronage aussi honorable; l’indifférence …, c’est la véritable, la seule difficulté. Cette indifférence s’explique par une foule de tentatives restées à l’état de projet. Il nous faut donc, aux chefs-lieux de canton, au moins une personne avec assez de cœur et d’énergie pour nous seconder en devenant l’instrument actif de notre mandataire ; c’est cette personne, que nous ne connaissons pas, que nous vous prions de nous indiquer.
… Ce sera pour nous une marque d’intérêt, si vous avez l’obligeance de nous faire connaître (par un avis franco) le résultat de votre concours, que nous venons réclamer au nom de l’humanité. »
e) Aux Protecteurs de l’Œuvre (15 février 1851),
Il est probable qu’il n’y eut pas d’empressement pour répondre à cette circulaire. En tout cas Jules Radu fut sans doute accusé de vouloir retirer un bénéfice pécuniaire de l’entreprise[19]
Le 15 février 1851, trois mois après, Jules Radu s’adresse aux protecteurs de l’œuvre.
Il propose une nouvelle combinaison qui a été approuvée par le bureau.
Il dégage son nom de toute apparence de spéculation, « apparence qui pouvait dénaturer le caractère du fondateur et altérer la dignité du patronage le plus important peut-être qui ait accueilli une œuvre de bien public » , Il ajoute « à son influence l’action puissante des industries intéressées à seconder l’œuvre ».
« Autant les prospectus seuls peuvent rester sans effet, autant ils appelleront l’attention du pays quand ils seront appuyés par une vaste association commerciale dont la présence vient constater que l’œuvre accomplit un acte sérieux »[20]
« M. Jules Radu déclare qu’il se retire de la partie financière et administrative ; bien qu’il ne soit pas dans une heureuse position de fortune, et malgré des sacrifices de temps et d’argent employés à organiser l’œuvre, M. Jules Radu vient dire au commerce : « Nous vous apportons un caractère officiel par le protectorat du Chef de l’Etat : une circulaire ministérielle … ; une correspondance engagée avec des Préfets, des Evêques, des Maires … ; un patronage de 500 membres d’une grande influence par leur haute position sociale, et, dans le nombre, des hommes dont l’appui ne fera jamais défaut : l’influence de 100.000 circulaires … qui viennent d’être répandues dans les 37.000 communes et adressées directement à 45.000 autorités religieuses, civiles et militaires. Nous vous apportons quelque chose de plus puissant encore : c’est une volonté énergique, avec laquelle une bonne œuvre doit nécessairement s’accomplir. .. Nous vous offrons une affaire commerciale dans laquelle (dussiez-vous gagner des millions) nous déclarons rester complètement étranger à tout bénéfice d’argent, sous quelque forme que ce soit ; notre seule ambition est de laisser un jour à notre famille la part de gloire et d’honneur due à un homme qui a fait quelque chose d’utile à son pays… »
« Un Conseil d’administration sera nommé pour veiller aux intérêts du commerce, intérêts auxquels les membres du conseil entendent rester entièrement étrangers, ne se réservant que la direction morale dans la fondation d’une œuvre de bienfaisance »
4- Succès d’un livre : 371.000 exemplaires
Le premier livre offert à la fondation des Bibliothèques communales est un cours d’instruction élémentaire, dont nous avons parlé, cours que Jules Radu avait déjà utilisé pour les soldats et les adultes et qui est alors intitulé : « Bibliothèques communales ».
Ce livre, oublié aujourd’hui, a connu le succès.
a) Augmentation en quantité.
En 43 ans, de 1840 à 1883 (date de la dernière édition), il est tiré, 46 éditions, ce qui représente 371.000 exemplaires.
Le nombre de pages de chaque édition va continuellement en augmentant : il passe de 136 à 800.
b) Augmentation en qualité.
L’auteur veut améliorer continuellement la qualité de son travail, et le dernier tirage, grand in-8°, est une petite encyclopédie non illustrée mais bien documentée pour l’époque. C’est un livre austère : rien n’est fait pour en rendre la lecture attrayante[21].
« On ne peut juger cet ouvrage que sur la dernière édition, nous dit Jules Radu. Nous insistons sur cette observation ; personne ne peut supposer l’immense travail[22], pendant 43 ans, pour corriger, transformer et développer 43 fois les traités de Géographie[23] et d’Histoire[24]. Ce travail s’explique : nous avons considéré ce livre, non comme une spéculation qui aurait pu produire une grande fortune[25], mais comme une œuvre utile : à ce point de vue, nous le trouvons toujours imparfait, incomplet ; nous cherchons, à chaque édition. à le corriger et à le compléter. »
5- Echec des bibliothèques communales
a) Souscriptions communales.
Mais, sur 371.000 souscripteurs, les communes en fournissent seulement 626.
Pour 1864, la liste indique :
Bas-Rhin[26], arrondissement de Wissembourg . . . . . . . 128
Bas-Rhin, arrondissement de Strasbourg . . . . . . . . . . . . . . 110
Vaucluse, arrondissement d’Apt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
Communes diverses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306
Total 626
b) Souscriptions particulières.
Les souscriptions viennent surtout des usines et manufactures (113.692), de l’armée et de la marine (114.469)[27], des administrations publiques et des chemins de fer (60.639).
c) Et les cent ouvrages projetés ?
Où en sommes-nous des cent ouvrages projetés ‘?
Je ne vois rien d’autre que ces 626 souscriptions communales (sur 37.000 possibles), mais il s’agit du seul livre d’enseignement élémentaire de Jules Radu : 7 fascicules souvent reliés en un seul volume. Quelques-uns de nos lecteurs, en particulier des collègues, instituteurs dans des villages, peuvent-ils nous renseigner à ce sujet ?
d) L’échec de Jules Radu.
En résumé, la Société de bienfaisance « Les Bibliothèques communales » est fondée en 1850 par Jules Radu.
Cette Société est très importante par son programme, par le nombre et le rang social des personnes qui la soutiennent, par les démarches qu’elle fait.
Mais dix ans après sa fondation, elle n’a rien réalisé de marquant.
En effet, voici en date du 31 mai 1860, le texte d’une circulaire du ministre de l’Instruction Publique Rouland :
« Doter les populations laborieuses d’un fonds d’ouvrages intéressants et utiles est un besoin qui, chaque jour, se fait plus sérieusement sentir. Une vaste organisation de Bibliothèques communales répondrait à cc but ; mais cette organisation présente des difficultés qu’un concours multiple de volontés et de sacrifices permettrait seul de résoudre complètement. »[28] .
La tentative de Jules Radu a avorté. Les classes dirigeantes qui la patronnaient n’ont pas été suivies.
e) Succès de Jean Macé.
En 1862, avec une orientation différente, Jean Macé reprend le projet… et réussit.
6- Conclusion : Deux hommes de bonne volonté
Jules Radu et Jean Macé : Essayons de tracer une esquisse de leur caractère.
a) Les contrastes.
D’abord. deux comportements très différents.
Si nous songeons à Jules Radu, nous l’imaginons apprenant à écrire à un enfant attaché par les épaules au dossier de la chaise : « C’est le seul moyen de les faire tenir droit. » [29].
Par contraste, pensons à Jean Macé rédigeant : « Les serviteurs de l’estomac ». Il dédie son récit à Mlles Marguerite et Claire. «Les deux élèves les plus sages qu’il ait jamais eus, qui ne causaient pas, qui ne remuaient pas et dont le regard interrogateur ne le quittait jamais ». Elles l’ont, dit-il, « aidé » « à écrire ce livre et lui ont soufflé tant de fois ce qu’il y avait à dire »[30].
Jules Radu admire « cette discipline qui fait mouvoir des milliers d’hommes par une obéissance et dans un ordre qui tiennent de la féerie ». Il veut utiliser en faveur de l’éducation cette « obéissance passive, absolue ». La « Colonie des Enfants de France » serait organisée militairement[31]. (Mais y a-t-il vraiment éducation lorsqu’on apprend à obéir au lieu d’apprendre à aimer) ?
Jean Macé est partisan de méthodes éducatives moins austères. << Au Petit-Château de Monthiers (dans l’Aisne, à 14 km. de Château-Thierry) il ne manquait aucune promenade : toujours à la tête de la bande, avec une élève à chaque bras, il ouvrait bravement la marche. »[32].
b) Leur vie.
L’un appartient à la bourgeoisie. Il est d’abord catholique militant. Plus tard, il sera favorable à la franc-maçonnerie[33]. Il devient riche … Il recherche « une part de gloire ». Pour lui, la vie est conçue selon une discipline militaire…Il donne des leçons dans l’armée, dans les usines et les manufactures. Pour ses grands élèves, il recommence sans cesse un << Cours d’instruction élémentaire » qui garde des pages du plus haut intérêt. Il crée des Sociétés de bienfaisance : Extinction de la misère ( 1841). Bibliothèques communales (1850). Colonie des enfants de France (1857 ). Il reçoit la Légion d’honneur.
L’autre est un enfant du peuple, un pauvre, un orphelin épris de fantaisie et de liberté[34]. D’abord catholique, il deviendra franc-maçon … Il enseigne dans un pensionnat de jeunes filles. « Il voulait séduire. Professeur de demoiselles, il s’est assimilé à la politique la plus habituelle aux femmes. » [35]. C’est un pionnier de l’éducation populaire[36]. Il fonde aussi des Bibliothèques communales (1862) ; il crée la Ligue française de l’enseignement (1866) et contribue à l’établissement de l’école laïque (1882). Il est élu sénateur vraisemblablement en 1893.
c) Les traits communs.
Essentiellement par des voies différentes, ces deux défricheurs se sont efforcés de dissiper les ténèbres de l’ignorance pour nous apporter la lumière du savoir, plus de lumière encore [37] et pour nous préparer un avenir meilleur.
Tous deux sont des hommes de bonne volonté dont les opinions semblent, au fond, très voisines. Jules Radu suit d’abord « l’Evangile, loi du Christ » , puis il se rallie à la devise : « Aimez-vous les uns les autres. »[38].
En 1848, Jean Macé, garde national du 11è arrondissement, affirme, « avec la ferme insistance d’un fouriériste militant » « Un républicain doit aimer. Celui qui n’aime pas n’est pas républicain : il oublie que le premier mot de son catéchisme c’est l’amour pour son frère. »[39].
d) Bibliothèques communales d’aujourd’hui.
Peu importe qui, le premier, a fondé les Bibliothèques communales: elles correspondaient à des aspirations, à des poussées de sève qui n’avaient pas encore réussi à donner des bourgeons.
Jules Radu et Jean Macé ont traduit l’un et l’autre une fraction de la volonté populaire.
Maintenant, les Bibliothèques communales sont fondées et les bibliobus portent dans les plus petits villages le « trésor de la pensée et de l’expérience s , des livres de toutes les tendances, fruits des efforts de tous les hommes dans toutes les directions, de leurs joies et de leurs douleurs, de leurs tourments et de leur espérance.
A Paris, nos Bibliothèques communales sont bien organisées et elles se perfectionnent sans cesse … Il leur manque, parfois, d’être un peu plus grandes !. Il y a tant de bons livres, et tant de lecteurs assidus !
Les bibliothécaires travaillent avec diligence. Un coin est réservé aux enfants, doucement conseillés et qui, bien sagement; choisissent un volume à leur convenance.
Autour d’une grande table sont assis des lecteurs et des lectrices ; ils consultent des revues, des ouvrages qui doivent demeurer « sur place ».
Et, entre les « rayons », discrètement, des hommes et des femmes de tous les âges, de toutes les conditions, de toutes les races, cherchent eux-mêmes, selon leurs goûts passagers et leurs aspirations profondes, ce qui nourrira leur intelligence et leur cœur.
e) Reconnaissance.
Pendant quarante-trois ans, Jules Radu[40] a accompli pour nous un immense travail. Il a cherché constamment à mieux faire. Nous lui en sommes reconnaissants.
Avec Jean Macé[41], il a ouvert un chemin que nous suivons. En 1883, dans sa dernière édition, Jules Radu .donne une nouvelle version de l’exposé qu’il a fait le 3 mars 1850.
En 1850, nous avons vu Jules Radu soumis l’église.
En 1883, les idées couramment admises ne sont plus les mêmes[42] Jules Radu est favorable à la franc-maçonnerie. Il a pu évoluer dans ses opinions, mais il a le tort de donner la nouvelle version comme conforme à la première.
Jules Radu et la Franc-maçonnerie
Voici ce que Jules Radu pense de la franc-maçonnerie[43] :
« La fondation de ces corporations humanitaires a pour base : la Liberté, !’Egalité et la Fraternité, principes traditionnels de toutes les constitutions de la franc-maçonnerie moderne… Lorsque la Société se sera débarrassée des éléments hétérogènes (Rose-Croix et Illuminés) dont l’introduction dans ses constitutions a nui à son influence, rien ne pourra mettre obstacle à la diffusion des bienfaits qu’elle est appelée à répandre dans le monde. »
Les doctrines de la franc-maçonnerie moderne « consistent dans la pratique et l’enseignement de la morale universelle. La franc maçonnerie ne voit que des frères auxquels elle ouvre son temple peur s’aimer par la fraternité et chercher à effacer les préjugés de castes, de distinctions de couleurs, d’origines, d’opinions, de nationalités, à détruire le fanatisme et la superstition, les haines nationales et le fléau de la guerre, à arriver par le progrès libre et pacifique, à formuler le droit éternel selon lequel chaque individu doit librement développer ses facultés et concourir au bonheur de tous, à faire ainsi du genre humain une seule et grande famille de frères unis par l’amour, la science et le travail »
L’exposé de 1863
Et maintenant nous vous donnons le texte de l’exposé de Jules Radu dans sa version de 1883. Ln comparaison avec le texte de 1850[44] nous parait très intéressante : elle illustre d’une façon frappante l’évolution des idées.
Regardons … En 1883, Jules Radu ne mentionne plus sa visite au pape, il ne parle plus de Dieu … Il demande pour les instituteurs un traitement qui les rende indépendants …
D’ailleurs, voulez-vous juger par vous-mêmes :
« Bibliothèques communales » fondées en 1850. Le Président de la République, protecteur.
Première séance. Exposé présenté par M. Jules Radu au Conseil de l’Œuvre réuni au Palais de l’Elysée, le 3 mars 1850, sténographié par M. Vignon, sténographe à l’Assemblée nationale
La Bibliothèque communale, guide des familles pour l’éducation et l’instruction des enfants, vient éclairer les classes laborieuses et combattre le colportage des mauvais livres, fléau des campagnes. On ne peut prévoir l’heureuse influence qu’une bonne Bibliothèque peul exercer sur l’avenir des communes. La propagation des bons livres est un moyen de détruire l’ignorance, l’une des causes du désordre qui étonne et afflige la Société. L’ignorance peut conduire à la misère, et la misère au crime. Le crime est un acte de folie ; des méchants, pour l’honneur de l’humanité, sont des malheureux privés de la raison, qu’il faut traiter comme des aliénés, avec toutes sortes de seins et un régime moral, jusqu’à parfaite guérison. L’éducation fait naître les sentiments nobles, grands, généreux ; l’instruction développe l’intelligence ; l’ignorance conduit à ces passions honteuses qui dégradent l’humanité. Dans la vie, tout s’enchaîne : les plus grands effets prennent leur source dans les plus petites causes ; l’homme sans étal qui mendie, qui est au bagne, s’il avait reçu une bonne éducation, une instruction élémentaire, un état, cet homme ne mendierait point ; il ne serait peut-être pas au bagne.
Si l’amélioration d’une nation dépend de l’éducation des enfants, on ne saurait trop apporter de soins dans Je choix des instituteurs primaires ; il faut leur inspirer ce sentiment de dignité qui fait considérer un emploi comme une mission et leur donner un traitement qui les rende indépendants.
La Bibliothèque communale renferme les meilleurs ouvrages sur l’agriculture, qui réalisera toutes les espérances du bien-être. On doit faire ses efforts pour diriger vers l’agriculture cette génération qui va se perdre dans les grandes villes, La première richesse d’un pays est dans le sol ; l’agriculture occupe les deux tiers de la population ; c’est donc de toutes les industries celle qui mérite Je plus de faveur. Le jour où la terre produira en proportion du nombre de bras qui la cultivent, le commerce prendra un développement proportionné à ceux de l’agriculture ; l’industrie manufacturière y trouvera d’immenses avantages ; le régime alimentaire des travailleurs, une amélioration notable ; l’existence d’un grand nombre de familles ne sera plus mise en question aux moindres crises commerciales.
La Bibliothèque communale apporte une source de connaissances aux habitants des campagnes ; les maires, secondés par les instituteurs, la rendront utile en organisant, les dimanches, les jours de fêtes, et surtout pendant les longues soirées d’hiver, des conférences où des lectures à haute voix pourront amuser, instruire et moraliser. L’homme plongé dans l’ignorance trouve insensiblement du plaisir à écouter ; sa mémoire a retenu quelque chose ; il veut en apprendre davantage ; il ne sait pas lire, mais il s’occupera de l’instruction de son enfant ; il finira par comprendre cette vérité : << Les éléments du bonheur sont dans la bonne conduite ; la santé dépend de la sobriété ; l’aisance consiste à ne pas se créer d’inutiles besoins, et la paix de l‘âme est dans J’estime de soi-même. »
Le jour n’est pas éloigné où la révolution morale, que les honnêtes gens attendent, s’accomplira. Le temps est venu. Mettons-nous à l’œuvre ; cherchons tous les moyens pour améliorer l’existence des travailleurs.
La fondation des Bibliothèques communales a donc pour but, et nous ne saurions trop le répéter, de moraliser et d’enseigner ; ce sera toujours par la force de la justice, et non par la violence de l’insurrection, que les travailleurs arriveront progressivement au bien-être vers lequel tend la marche de l’humanité. La source de toute réforme est dans cette loi sublime
« Aimez-vous les uns les autres. »
Pendant quarante-trois ans, Jules Radu a accompli pour nous un immense travail. Il a cherché constamment à mieux faire. Nous lui en sommes reconnaissants.
Avec Jean Macé, il nous a ouvert un chemin que nous suivrons.
Et nous ferons nôtre cette devise, titre d’une collection des Presses Universitaires de France : « Savoir plus pour mieux aimer. »
Juillet à novembre 1956 et décembre 1958.
Ernest Lefèvre