La Bibliothèque des Amis de l’instruction du IIIe arrondissement est une réalisation profondément originale : c’est la première bibliothèque parisienne de prêt, due à l’initiative populaire et fondée sur le principe de l’association. Première de ce type en France, elle en est l’ultime survivante plus d’un siècle après sa fondation en 1861.
La création, trois ans plus tard, des bibliothèques municipales, concurrencera peu à peu l’oeuvre originale et leur plein essor finira par laisser celle-ci dans un certain oubli.
Initiative exceptionnelle au XIXe siècle, elle a été fondée en 1861 par des ouvriers et des artisans du quartier, lithographes, bijoutiers, opticiens, graveurs, monteurs en bronze, désireux d’accéder à la lecture et à la culture et déjà assidus aux cours du soir de l’Association philotechnique, à l’école Turgot. Leur projet est novateur : s’associer dans le but de créer une bibliothèque populaire, véritable outil de travail plutôt que bibliothèque récréative, « répondant d’une façon intelligente et pratique à leurs besoins » et capable d’intéresser les lecteurs eux-mêmes à la réalisation de l’oeuvre, par une participation à son fonctionnement.
L’initiative en revient à l’un d’entre eux, Jean-Baptiste Girard, lithographe, dont l’énergie et l’infatigable persévérance donneront très vite à la fondation un essor considérable : elle est en effet à l’origine d’un mouvement qui entraînera quelques années plus tard la création de nombreuses bibliothèques de ce type tant à Paris qu’en Province.
C’est en 1875 que la Ville de Paris, reconnaissant le caractère d’intérêt public de ces bibliothèques populaires, accepte de les encourager par l’accord d’une importante subvention ; c’est alors que le Conseil municipal offre gracieusement à la Société des Amis de l’instruction du IIIe arrondissement un local au 48 de la rue de Sévigné. Les livres y sont déménagés, quittant l’Ecole centrale des Arts et Métiers, rue de Thorigny, où la bibliothèque s’était établie après un court séjour dans les dépendances de la Mairie du Temple.
En 1884, l’Ecole des garçons, 54 rue de Turenne, permet son installation définitive en l’hôtel Montrésor, mettant à la disposition de l’association quatre petites pièces qui lui appartiennent et dont le décor sévère est merveilleusement intact aujourd’hui.
Lieu de mémoire et lieu d’échanges au XXe siècle, aujourd’hui en ce même lieu, un fonds d’une vingtaine de milliers d’ouvrages, particulièrement remarquable en ce qui concerne les éditions de 1850 à 1930, ainsi que des documents d’archives témoignent de la vie de la bibliothèque durant plus d’un siècle.
Leur étude a permis la réalisation d’un passionnant mémoire de D.E.A. d’histoire à l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Pascale Marie y révèle tout un microcosme, lieu de mémoire et rare témoin des besoins et des goûts culturels dans un quartier de Paris à partir de 1861.
Grâce à la volonté de ses lecteurs actuels, la bibliothèque fonctionne toujours et reste un lieu vivant d’échanges sur la lecture. Le financement en est assuré par la Ville de Paris et par les cotisations de ses membres.
Une dizaine de bénévoles assure les permanences, le fonctionnement et le maintien en état des lieux. Un très gros travail de récolement et de restauration des reliures a été commencé. La bibliothèque possède un catalogue méthodique assorti d’un index des auteurs de 1920, que les sociétaires aimeraient voir mis à jour, ainsi que des fichiers par cotes, par auteurs et par titres qui guident les lecteurs dans la recherche des ouvrages sur les rayons.
Le lieu
Le terrain sur lequel sont bâtis les hôtels situés aux numéros 52 et 54 rue de Turenne, délimité par les rues de Turenne, Villehardouin et Saint-Gilles, appartient à un ensemble acquis par les hospitalières Saint-Gervais, auprès des hospitaliers du Grand Prieuré du Temple, en 1342.
Le décor
D’où vient donc le charme du lieu ? De ses dimensions peut-être ? Ici, tout est à l’échelle humaine : l’exiguïté des pièces engendre l’intimité, rassure le visiteur qui, entré comme par magie dans le XIX e siècle, est peu à peu rendu à la réalité par l’odeur familière de la cire et du vieux papier. De son authenticité sans doute ? Une restauration douce, entreprise en 1980, n’a rien rajouté « d’esthétisant ».
Dans la salle de lecture du rez-de-chaussée, les collections d’éditions populaires rassemblées au fil du temps étalent sereinement leurs reliures fanées sur l’ensemble des murs, du sol jusqu’au plafond : elles habitent le lieu et y trouvent leur sens. À l’entrée, une lampe à contrepoids éclaire un minuscule comptoir de prêt, bureau et caisson peints en faux bois.
À gauche, huit chaises entourent l’unique table de consultation recouverte de son tapis de laine ; conviviale comme une table d’hôte, elle invite à un art de lire où l’échange vient naturellement entre les lecteurs, jeunes ou grands, érudits ou curieux.
Deux petits meubles de chêne blond renferment en des tiroirs miniatures les fiches manuscrites des classements méticuleux : alphabétiques par auteurs et par titres, et chronologique par numéro d’inventaire, toutes informations regroupées dans le catalogue méthodique imprimé de la bibliothèque.
Le rez-de-chaussée
Ajoutent au mystère de cette pièce si enclose, une porte donnant accès à une vaste cave récemment aménagée et un escalier de chêne sombre qui s’échappe vers l’étage supérieur.
À l’entresol, le visiteur, entraîné plus avant dans ce voyage hors du temps, découvre une très petite salle, entourée de magasins plus réduits encore, gorgés de livres usés à force d’être lus, portant, comme des stigmates, les traces des mains malhabiles qui les ont feuilletés. La cheminée de marbre rouge, encaissée dans les rayonnages, réchauffe de sa teinte chaude cet environnement sévère.
Partout les ouvrages s’alignent en rangs serrés : mélange harmonieux de basanes brunes ou fauves, de cuirs sombres, où brille l’or des cotes et des titres en stricte parure. S’y distingue une foule touchante de petits formats plus modestement habillés de pleine toile, les plus anciens comme vêtus de tabliers de coton noir, les plus récents, à partir de 1910 environ, de percaline grenat ou vert foncé.
Devant la fenêtre, posée sur le sol de vieilles tomettes, la table-bureau avec son traditionnel feutre vert et ses quatre chaises. De rares parties de mur laissent apparaître une peinture au ton ciel, entre le bleu et le vert, qui met en valeur les huisseries couleur bronze et les menuiseries noires et cirées de style « Napoléon III » héritées de l’époque précédente.
Deux photographies encadrées y ont tout de même trouvé place, celles du fondateur, le lithographe Jean-Baptiste Girard, et de sa fille Anna, inscrite avec son père, en 1861, dans le premier registre des lecteurs.
L’entresol
Aujourd’hui, le temps a fait de cet aménagement modeste, miraculeusement préservé, un véritable décor. Il forme, avec le fonds de livres d’origine et l’histoire de l’association, un ensemble cohérent qui donne à la Bibliothèque des Amis de l’instruction du III e arrondissement ses lettres de noblesse.
Devenue conservatoire de la lecture populaire au XIXe siècle par la rencontre rare de ces trois éléments – un lieu, un fonds, une histoire – cette institution entre pour sa part, humble mais originale, dans le riche patrimoine de la Ville de Paris.
par Nicole Courtine.