Jean-Claude Yon 

présente

La musique au théâtre du XIXe siècle 

Cette conférence passionnante n’a pas bénéficié d’un enregistrement de bonne qualité, mais mérite néanmoins d’être écoutée. Le texte suivant, plus développé qu’à l’habitude, a pour but à la fois d’inciter à cette découverte et de reprendre des points qui pourraient être difficiles à percevoir. Compte tenu des problèmes techniques, les exemples musicaux diffusés ont été raccourcis, voire remplacés.

        Le 19 juin 2003

En préambule, Jean-Claude Yon précise qu’au XIXè siècle les étudiants en théâtre et en musique se côtoyaient à l’intérieur d’un même espace qui était le Conservatoire de musique et de déclamation. Cette proximité avait des effets très intéressants que la séparation fait regretter de nombreuses personnes, encore aujourd’hui.

L’exposé s’articule en trois parties : la musique dans le théâtre parlé, la musique dans les théâtres musicaux proprement dits, l’appropriation d’un répertoire musical par d’autres théâtres, dont le Théâtre lyrique

  1. Depuis le XVIIIè siècle à Paris, la musique est omniprésente dans le théâtre parlé. Plusieurs salles ont un orchestre permanent. Jeacques Offenbach fut, de 1850 à 1855, chef de l’orchestre de la Comédie française. Balzac décrit avec précision l’emploi du Cousin Pons, chef d’orchestre d’un théâtre des Boulevards. Ces orchestres jouent la musique de scène, des intermèdes symphoniques pendant les entr’actes, participent à l’action si celle-ci l’impose (défilé militaire, bal, évocation folklorique…) ou accompagnent l’entrée en scène d’un personnage selon des codes instrumentaux assez sommaires et intégrés par le public. Ces pratiques s’exercent aussi bien sur le répertoire classique que sur les créations. Ainsi, Offenbach compose des musiques pour le Barbier de Séville, les Noces de Figaro, le Malade imaginaire, entre autres. D’autres pièces ont un propos qui implique une partie musicale nettement développée, comme l’Arlésienne de Daudet, créée en 1872, source de la musique de scène de Bizet. Écoute d’un extrait des Érinnyes, tragédie antique d’après Leconte de Lisle, musique de Massenet pour l’introduction, deux intermèdes et un mélodrame (dans ce contexte, le mélodrame est une musique jouée pendant que les acteurs parlent). L’extrait proposé est aussi connu sous le nom d’Élégie (voir sur cette œuvre http://www.artlyriquefr.fr/oeuvres/Erinnyes.html)

Nombreuses sont aussi les pièces théâtrales utilisant la forme du Vaudeville. Il s’agit de textes mis sur des airs connus, selon le principe du timbre. Leur effet est quasiment désamorcé aujourd’hui. Pour le spectateur de l’époque, toute la saveur se situait dans la superposition des nouvelles paroles à la mémoire des anciennes.

  1. Les théâtres spécifiquement lyriques étaient peu nombreux en raison du système des privilèges établi par Napoléon Ier en écho à l’époque de Louis XIV. Chacune des institutions est cantonnée dans un genre précis. Il y en a trois à Paris, la plus ancienne, l’Opéra, qui est le théâtre où le pouvoir se donne en représentation, et qui est tenu d’afficher le luxe et la magnificence, l’Opéra comique et le Théâtre italien.

L’Opéra existe, d’abord sous le nom d’Académie royale de musique, depuis 1669. La construction du Palais Garnier est l’un des événements artistiques majeurs du XIXè siècle parisien, mais, pour le répertoire, c’est rue Le Pelletier que se donnera le plus grand nombre de spectacle. Le genre cultivé est le grand Opéra, avec exclusivement de la musique. Les décors, les costumes se doivent d’être fastueux et impressionnent généralement les visiteurs étrangers qui en rendent compte. L’Opéra joue les lundi, mercredi, vendredi, en alternance avec le Théâtre italien. Les quelques compositeurs qui y accèdent sont assurés de la célébrité, comme Halévy, Meyerbeer, Auber. Scribe est le librettiste le plus souvent requis. Écoute d’un extrait de la Marche composée par Meyerbeer pour Le Prophète.

L’Opéra comique, comme l’Opéra connaît de nombreux changements de salle dus à des incendies répétés. Son répertoire serait proche dans l’esprit du Vaudeville, mais les musiques sopt originales. Il traite de sujets moins nobles que l’opéra, souvent s’appuyant sur des réalités plus familières. On y alterne la parlé et le chanté. Il joue tous les jours donc engendre la création d’un répertoire très fourni. Boieldieu, Harold, Adam, Auber s’y illustrent. C’est aussi, à partir de 1870, un lieu de création pour les pièces  refusées à l’Opéra : Carmen de Bizet, les Contes d’Hoffman d’Offenbach, Lakmé de Delibes, Manon de Massenet, jusqu’à Pelléas et Mélisande de Debussy en 1902. C’est par ailleurs un lieu idéal pour conclure à l’entra’acte les projets matrimoniaux entre les familles. Écoute d’un extrait du Muletier, de Hérold.

Le Théâtre italien vit de 1801 à 1878, connaissant lui aussi plusieurs implantations, dont la plus importante est la salle Ventadour. Le répertoire est exclusivement en langue italienne, il joue donc les mardi, jeudi et samedi. La troupe est merveilleuse et accueille les plus grands chanteurs italiens, comme la Pasta, la Malibran. Le répertoire connaît bien sûr le déferlement de la vague rossinienne, puis Bellini, Donizetti (on y crée Don Pasquale), enfin Verdi. C’est le plus cher, le plus chic. Dans les textes du XIXè siècle, “aller aux Italiens”, “aller aux Bouffes”, cela signifie quelque chose. Labiche en parle dans “La Poudre aux yeux”.

  1. Les autres théâtres, le Théâtre lyrique. La place est étroite pour les compositeurs français qui ne sont pas des vedettes. Refusés à l’Opéra, exclus des Italiens, ils se battent pour l’ouverture d’une nouvelle scène lyrique. En 1847, Adolphe Adam arrache le privilège de fonder une Théâtre lyrique qui s’installe boulevard du Temple. ON peut y donner des opéras et des opéras comiques de compositeurs lauréats du Grand Prix de Rome. Mais arrive la Révolution de 1848, le théâtre ferme et Adam est ruiné. Le théâtre lyrique renaît en 1851. Rasé pour cause de développement haussmanien, il s’installe sur le trottoir d’en face, puis place du Châtelet à l’emplacement du Théâtre de la Ville. Il donne au public l’occasion de découvrir le répertoire étranger dans des versions traduits : La Flûte Enchantée de Mozart, Fidelio de Beethoven, Rienzi de Wagner… Il remplit parfaitement son rôle vis-à-vis des compositeurs français, faisant découvrir Les Troyens de Berlioz, les Pêcheurs de perles de Bizet, Faust, Mireille, Roméo et Juliette de Gounod. Dix ans plus tard, ce sera l’Opéra qui ouvrira ses portes au Faust de Gounod qui a remporté un grand succès. Le Théâtre lyrique disparaît lorsque l’Opéra comique ouvre plus largement son répertoire.

Un nouveau débouché se fait jour avec le théâtre d’opérette, à partir des années 1850. Hervé entreprend la même démarche qu’Auber pour décrocher un privilège et s’installe à l’emplacement de l’actuel Théâtre Déjazet. Offenbach quitte la direction de l’orchestre de la Comédie française et crée son propre théâtre, Les Bouffes parisiens, se mettant ainsi sur le même pied que le Théâtre italien.  Il s’installe à l’emplacement de l’actuel Théâtre Marigny. IL démage vite pour une salle moins « excentrée », passage Choiseul. Au départ, le privilège est très réduit, imposant un tout petit nombre de chanteurs, puis il obtient des extensions successives jusqu’à pouvoir représenter de vrais opéras. Orphée aux enfers est donné en 1858. Écoute du Quintette extrait de Croquefer de Jacques Offenbach.

L’année 1869 marque la fin des privilèges. Les salles possédant un orchestre se multiplient et accueillent des spectacles musicaux. Le Théâtre des Variétés voit la création de La Belle Hélène, de la grande Duchette de Gérolstein, le Palais Royal crée la Vie Parisienne. C’est le triomphe d’Offenbach. Par ailleurs, l’offre musicale explose avec l’accroissement des cafés-concert.

Écoute d’un extrait du Château de Toto d’Offenbach, avec bel exemple d’alternance de parlé et de chanté.

Jean-Claude YON

Historien, maître de conférence et directeur du Service culturel de l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Attaché au Centre d’Histoire socio-culturelle des sociétés contemporaines, ses recherches portent sur le théâtre dramatique et lyrique du XIXe siècle.

“Jacques Offenbach” Gallimard 2000 ; “Le Second Empire : Politique, société, culture” Armand Colin 2004

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