par Marcel Baroë

Note préliminaire
Les hasards d’une lecture m’ont mise sur la piste d’une association amie. Dans le livre de
souvenirs de Raymond Coulon, intitulé Enfance et jeunesse d’une guerre à l’autre, 1914-
1944, édité par son fils Daniel Coulon, il est fait référence aux Amis de l’Instruction et de
l’Agriculture de Sagy, commune de Saône et Loire, où l’on pouvait emprunter des livres.
J’ai pu entrer en contact avec Marcel Baroë qui fut président de cette société pendant près
de 30 ans. Il a bien voulu nous autoriser à reproduire un article qu’il écrivit après avoir
découvert, en 2000, l’existence de la Bibliothèque des Amis de l’instruction du
3ème arrondissement de Paris et rencontré sa présidente d’honneur et ex-présidente,
Jacqueline Guilbaud.
Monsieur Baroë précise ; “Notre activité est différente de la vôtre. Nous n’avons plus de
bibliothèque, mais nous publions un bulletin annuel. Nous avons également fait pendant
plusieurs années des expositions sur l’histoire locale. Notre originalité est d’avoir publié
un certain nombre de livres sur Sagy et la Bresse qui sont de précieux renseignements sur
l’histoire et l’ethnologie régionale et locale, comme Le colportage en Bresse et autres
métiers disparus, dernier en date.”
Nous remercions très vivement Monsieur Baroë pour sa disponibilité et la mise à notre
disposition de son article.
Il convient de remettre cet écrit dans le contexte des années 2000, en ayant à l’esprit que
l’expression “Amis de l’Instruction” n’est pas l’apanage des seules Bibliothèques des
Amis de l’Instruction, mais a pu être intégrée dans le nom d’autres associations.
Aujourd’hui, une simple visite sur Internet peut faire découvrir Les Amis de l’Instruction
de Lyon, avec ses activités de boules, jeux de cartes, baby-foot, réunions dansantes, Les
Amis de l’Instruction laïque de Marseille, de Fuveau, de Rousset, de Gréasque ou
d’Aubagne, etc.
Mais, si la Société des Amis de l’Instruction et de l’Agriculture de Sagy n’appartient pas à
la famille directe des Bibliothèques des Amis de l’Instruction, elle en partage bien des
valeurs.

Hélène Personnaz

Il y a quelques mois [en 2000], j’apprenais en lisant un ouvrage(10) l’existence d’une
Bibliothèque des Amis de l’instruction du 3ème arrondissement, à Paris. Nous
n’étions donc pas la seule société des Amis de l’instruction en France et, curieux
d’en savoir plus, je me proposais d’aller découvrir cette bibliothèque à l’occasion
d’un déplacement à Paris. Entre-temps, un membre de cette association, sans douteen vacances dans notre région, entendait parler de nous et prévenait sa présidente
qui prenait immédiatement contact avec moi. Après nous être ignorés pendant
plus d’un siècle, nous nous découvrions à quelques semaines d’intervalle.
Fin décembre dernier [2000], j’ai visité cet établissement avec beaucoup d’intérêt
et ai longuement discuté avec sa présidente, ancienne bibliothécaire à la
Bibliothèque Nationale. J’ai trouvé beaucoup de similitudes entre nos deux
sociétés dans les motivations qui ont présidé à leur création et dans leurs activités
initiales, mais aussi de grandes différences dues aux milieux socioculturels
complètement opposés ; d’un côté, une très grande ville – la capitale – et un milieu
d’ouvriers et d’artisans, pour la plupart, hautement qualifiés, travaillant dans des
métiers d’art, influencés par les courants politiques et philosophiques, de l’autre,
un petit village, composé presque uniquement d’agriculteurs, peu instruits à cette
époque et complètement étrangers aux mouvements de pensée du moment. Il me
paraît cependant intéressant de les comparer.

L’origine
La Bibliothèque des Amis de l’instruction du 3ème arrondissement, de Paris, est la
première bibliothèque de prêt de livres basée sur le système associatif. Elle fut
fondée en 1861, trente-deux ans avant celle de Sagy, dans le quartier du Marais
par des ouvriers, artisans et employés.
Ce sont des professionnels évolués, une élite jouissant d’une certaine aisance
matérielle, qui exercent des métiers demandant de fortes connaissances
techniques ; des typographes, lithographes, dessinateurs, batteurs d’or, menuisiers,
serruriers, tailleurs, opticiens, mais on trouve aussi parmi les premiers adhérents
un pharmacien, un avocat, un épicier, un cafetier et… des femmes, environ 5% de
l’effectif, qui sont dentellières, fleuristes, blanchisseuses, modistes(11).
Ces ouvriers refusent les lectures imposées par les autorités politiques et
religieuses. Les fondateurs, élèves des cours du soir à la Société philotechnique,
ont des difficultés pour se procurer les livres nécessaires à leurs études et décident
de créer la première bibliothèque populaire en achetant en commun les livres dont
ils ont besoin.
[Suit une présentation de Jean-Baptiste Girard, fondateur de la Bibliothèque des
Amis de l’Instruction].
L’environnement politique. On est en 1861, époque mouvementée après les
révolutions de 1830 et 1848 qui avaient vu les ouvriers fraterniser avec les
étudiants. Le Second Empire a restreint les libertés (il ne se libéralisera qu’en
1867). Girard et ses co-fondateurs influencés par Saint-Simon(12) et Proudhon(13)
mettront en pratique leurs idées, créant à Paris la Bibliothèque des Amis de
l’instruction du 3e arrondissement, première d’une longue liste, véritable
institution de culture populaire. Cette attitude inquiète les autorités qui les
surveilleront de près et leur feront toutes les tracasseries possibles pour entraver
son fonctionnement.
À Sagy, il en ira tout autrement pour la fondation des Amis de l’instruction.
En 1893, trois décennies plus tard, le climat politique est complètement différent.
La Troisième République, malgré des crises, est bien établie. Les tensions entre
l’Église et l’État sont provisoirement retombées. Le pays est gouverné par des
républicains modérés et Sagy est loin des luttes sociales qui ont lieu dans les
villes. Là, les fondateurs ne sont pas des ouvriers militants, mais un agriculteur
éclairé, François Boivin, désirant étendre ses connaissances et un instituteur de
Saint-Martin-du-Mont (petit village voisin de Sagy), Pierre-Marie Alix, l’une des
rares personnes instruites dans nos villages à l’époque. Ici, pas d’arrière-pensée
politique, mais les fondateurs sont néanmoins de sensibilité républicaine.
Ils n’auront pas à souffrir des persécutions du pouvoir. Ils seront au contraire
soutenus par les élus locaux et régionaux. Lucien Guillemaut, alors député
républicain et historien, à l’origine de diverses initiatives éducatives en Bresse(14),
connaissant certainement le succès des bibliothèques populaires de Paris et attentif
au développement de la région qui lui était chère, parraina l’association et
prodigua ses conseils et ses encouragements aux fondateurs.
Les membres honoraires sont, outre le député et le conseiller général, les
personnes instruites du moment ; un professeur, quatre instituteurs, un notaire, un
percepteur, un géomètre, un imprimeur, deux secrétaires administratifs. Les
membres participants, au nombre de cinquante quatre sont, dans leur grande
majorité, de petits paysans ; ceux qui exercent une autre profession ont, pour la
plupart, une petite exploitation agricole à côté ; on trouve deux gardes, un facteur,
deux cantonniers, un potier, un meunier, un mécanicien, un aubergiste, trois
instituteurs et une institutrice, la seule femme. Le maire et trois conseillers
municipaux font partie de ses membres.
L’association de Sagy fut également encouragée dans ses débuts par la Société des
Amis de l’Instruction de Chalon-sur-Saône, aujourd’hui disparue. Peut-être lui
doit-on le modèle des statuts de notre association locale ? À notre connaissance, la
société chalonnaise fut la seule autre Bibliothèque des Amis de l’Instruction ayant
existé dans la région. Fondée en 1877, elle comptait 250 membres en 1901, mais
seulement 150 en 1903.
Extrait des statuts de la Société des Amis de l’Instruction de Sagy ; “Elle a pour
objet de développer l’instruction des sociétaires… Elle pense arriver à cet objectif
par la création d’une bibliothèque composée principalement des livres des auteurs
bressans, d’ouvrages et publications littéraires, agricoles, scientifiques, droit usuel
et pratique”.

Le fonctionnement :

Les locaux
La bibliothèque parisienne, compte tenu de son importance, bénéficia toujours de
locaux, mais elle dut déménager plusieurs fois avant de se fixer définitivement
dans l’hôtel Montrésor(15), 54 rue de Turenne, qui appartient aujourd’hui à la ville
de Paris. La bibliothèque de Sagy, quant à elle, loua pendant quelques temps “une
chambre” chez un particulier pour y placer les livres et recevoir ses sociétaires,
mais l’armoire contenant les livres fut rapidement placée dans les locaux de la
mairie.

Les effectifs
Dès son ouverture, la bibliothèque parisienne compte 270 sociétaires. Son effectif
atteindra rapidement 600 membres, 420 seulement cinquante ans après sa
création, et plus que 200 en 1930 en raison du développement de l’instruction.
À Sagy, ils sont 54 en 1893, 76 en 1914, 87 en 1923 et 120 en 1938 ; leur nombre
ne dépassera jamais 130. Compte tenu de la population locale, on peut dire
cependant que la Société des Amis de l’instruction est alors devenue une véritable
institution de la commune.
On remarque que les effectifs parisiens diminuent fortement entre le moment de la
création et 1930 alors que ceux de Sagy augmentent régulièrement pour atteindre
leur maximum avant la deuxième guerre mondiale. En fait, l’accroissement de
l’instruction des jeunes fut plus rapide et plus général en ville qu’à la campagne
(rappelons-nous que beaucoup d’enfants de paysans ne fréquentaient l’école que
pendant l’hiver). Les adultes du village souhaitant lire, en dépit de leurs faibles
revenus, n’avaient pas de librairie à leur disposition, celle de la ville la plus proche
était mal achalandée et ils hésitaient à en franchir la porte. Les journaux étaient
rares. La bibliothèque locale, au contraire, était le lieu où ils pouvaient se rendre
sans difficulté, trouver un choix de revues et de livres moyennant une cotisation
répondant à leurs moyens et, ce qui est très important, un bibliothécaire qu’ils
connaissaient à qui ils pouvaient demander des conseils. Les différences entre
population urbaine et population rurale expliquent sans doute ces évolutions
différentes. Concernant les jeunes lecteurs, le registre des délibérations note en
1923 ; “le nombre des sociétaires augmente chaque année, cela nous indique que
les jeunes gens prennent goût à la lecture. Ils sont assurés de trouver chez nous
des livres attrayants, utiles et bien écrits et d’augmenter les connaissances acquises
à l’école”.

La bibliothèque des Amis de l’Instruction de Sagy vers 1900

Les prêts
Les statuts des deux sociétés reposent sur l’association de leurs membres après
paiement d’une cotisation qui leur permet d’emprunter des livres, dont ils
deviennent en fait copropriétaires. Il est décidé que les ouvrages pourront être non
seulement lus sur place, mais emportés à domicile, ce qui ne s’était jamais fait
jusqu’alors et qui deviendra ensuite le principe de base du fonctionnement des
bibliothèque publiques.
À Paris, les sociétaires empruntent huit livres par an en moyenne en 1861, deux
livres par mois en 1882, trois en 1917.
À Sagy, un livre par trimestre en moyenne en 1893 – nos villageois, peu habitués à
la lecture, lisent moins et plus lentement – cinq par an en 1910, un peu plus de un
par mois en 1933. Mais ces moyennes cachent de grandes différences d’un lecteur
à l’autre. Par ailleurs, les administrateurs de la bibliothèque de Sagy se plaignent
régulièrement des livres qui circulent de main en main, prêtés par des membres de
l’association à des personnes n’en faisant pas partie, leur évitant ainsi de payer leur
cotisation ; si le nombre de ces adhérents “clandestins” était connu la moyenne
des prêts en serait certainement augmentée.
En plus de leur fonction de bibliothèque, les deux associations, conscientes de leur
mission d’instruction, développent des activités annexes ; excursions, et
conférences pour Paris. Sagy organisera aussi des conférences, souvent sur des
sujets intéressant la vie quotidienne comme “les servitudes et les droits de
passage” ou “le divorce”, des sujets à la mode comme “l’espéranto”. Mais parfois
bien savants comme “le darwinisme”. Elle mettra aussi en place la distribution de
prix aux enfants des écoles et soutiendra et financera la “Notice sur Sagy”, un état
des lieux de la commune au début du XXe siècle, publiée en 1901.

Le fonds
Le fonds de Paris correspond aux goûts et aux besoins des ouvriers qui fondèrent
la bibliothèque au milieu du XIXe siècle ; ouvrages professionnels et de science
pratique, livres de droit, d’économie politique, d’histoire, de voyages. Les revues
et les annales de la science occupent une grande place, mais aussi la poésie, le
théâtre et les romans qui permettent à l’homme de se former, à condition qu’ils ne
soient ni frivoles ni immoraux ; des ouvrages qui privilégient l’instruction au
détriment du délassement. Bien que les fondateurs fussent très politisés, on ne
trouve pas en 1862 d’oeuvres concernant le socialisme utopique. Pas de livres de
Fourier ni de Proudhon. Il faut dire que la bibliothèque était étroitement surveillée
par le pouvoir jusqu’en 1873. À partir de 1875, sous la pression des lecteurs, le
pourcentage des ouvrages à caractère instructif diminue au profit de la littérature.
Pour Sagy, nous disposons du seul catalogue ayant existé. Les ouvrages ont été
inscrits à la main au fur et à mesure de leur entrée dans la bibliothèque. Les
premiers livres notés sont “les oeuvres de Rabelais”, “le Décaméron” de Boccace
et “Les provinciales” de Pascal. On peut être étonné de ce choix ; il est en effet
peu probable que nos lecteurs bressans de l’avant-dernier siècle aient été très
intéressés par ces textes. En réalité, la sélection des premiers titres n’a pas été faite
par les bibliothécaires de Sagy, ne disposant pratiquement d’aucun moyen
financier, le premier fonds fut constitué grâce à des dons de notabilités possédant
une bibliothèque ; “Au début, nous n’avions que nos bonnes intentions, mais un
ami, M. Tissot, secrétaire de la mairie de Louhans, a bien voulu, à un prix très
réduit, nous monter en livres, oeuvres de nos bons écrivains, comme vous l’avez vu
en lisant. Notre sympathique député, M. Lucien Guillemaut, nous a fait don de
16 volumes, MM. Pron père et fils de chacun un volume, Billy, Richard de
Louhans, Mauchamp de Chalon ont à coeur cette oeuvre de progrès. Actuellement,
notre humble bibliothèque compte 120 volumes”(16)
Après la constitution du fonds initial, les livres furent choisis par les membres du
comité directeur, puis en fonction du choix des lecteurs comme le demandait
Pierre-Marie Alix, secrétaire de l’association, au cours d’une assemblée générale
en 1895 ; “A mon avis, il ne faut pas rester terre à terre. Au contraire, je crois
nécessaire de se procurer dès à présent quelques nouveaux volumes avec l’argent
que nous avons en caisse. Il serait à désirer que les membres présents fassent un
choix après la séance et permettent au bureau de dépenser l’argent tant pour
l’achat que pour la reliure des volumes détériorés. Je dois vous dire ici que cette
chose appartient au comité, mais je suis certain que ledit comité vous saura gré
de vous intéresser à lui et de l’éclairer dans le choix à faire. Quelques-uns veulent
des romans, d’autres des livres plus sérieux, d’autres enfin des ouvrages
scientifiques, médecine usuelle, vétérinaire, droit pratique. Enfin, que chacun
veuille dire ses idées, elles seront toutes respectées dans la mesure du possible.
Mais, MM., je vous le répète ne délaissons pas trop nos oeuvres bressanes, quelles
qu’elles soient.(17)
En effet, la bibliothèque se fait un point d’honneur de posséder les ouvrages des
auteurs locaux.
En 1894, elle ne dispose que de 128 livres et revues et 260 en 1898, reliés pour la
plupart. À ma connaissance, la société ne bénéficiait d’aucune subvention ; ses
seuls revenus proviennent des cotisations – modestes – de ses membres, ce qui
explique le faible nombre d’ouvrages. En 1899, la bibliothèque prend de
l’importance grâce à un don de 111 volumes du ministère de l’Instruction
publique. Elle compte 400 titres en 1900, 772 en 1914, 974 en 1924. En 1963,
date à laquelle elle cesse son activité, le catalogue compte alors près de 1600
titres.
Dans les débuts, Voltaire, Hugo, Lamartine, Daudet, Erckmann-Chatrian sont les
auteurs les plus lus, mais le bibliothécaire précise que “ces publications sont un
peu de trop longue haleine, mieux vaudrait avoir quelques abrégés”. Les
adhérents, qui n’avaient souvent connu que leur livre de lecture scolaire, et parfois
Le tour de France par deux enfants, semblent rebutés par des ouvrages aussi
épais. Les livres d’histoire sont aussi recherchés. Parmi les périodiques,
L’agriculture nouvelle, curieusement, n’est pas lue et Les annales n’ont qu’un ou
deux lecteurs, toujours les mêmes. Au contraire, La gazette du village et Le
journal de Louhans sont très demandés ; nos villageois, habituellement isolés,
découvrent la presse et l’information. Parmi les ouvrages appréciés par la suite on
trouve Zola, Th. Gautier, Musset, Flaubert, Dumas, Maupassant et des auteurs à la
mode.
En 1904, l’association s’abonne à La parole républicaine, brochure mensuelle de
propagande. Parmi les livres politiques on peut citer La morale sociale de Benoît
Malon, Socialisme et paysans de Jean Jaurès. En 1923 de nouvelles revues sont
mises à la disposition des adhérents ; L’illustration et Le miroir des sports.

Le rayonnement de la BAI du 3ème arrondissement de Paris
Très vite, le succès de la bibliothèque des Amis de l’instruction entraîne la
création de nombreuses autres bibliothèques portant le même nom et organisées
sur le même principe, d’abord à Paris où il s’en ouvre dans douze arrondissements
puis cinq autres dans la région parisienne. Girard, le fondateur de la première
société des Amis de l’instruction, porte aussi son activité en province pour
répondre aux objections de ceux qui pensent qu’une telle initiative ne pouvait
réussir que dans la capitale. Il ouvre une bibliothèque populaire dans son village
natal puis à Vernon dans l’Eure et il fonde la société Franklin qui consistait à
conseiller les provinciaux désireux de créer des bibliothèques par association sur
la base des mêmes statuts ; achats groupés de livres et de petit matériel, reliure à
prix réduits, etc.
En fait, les bibliothèques des Amis de l’instruction serviront de modèle pour la
création, sous le Second Empire et la Troisième République, de milliers de
bibliothèques dans la France entière. Ce mouvement n’est pas isolé ; il correspond
à une volonté de développer la lecture populaire au niveau du pays tout entier. En
1882 (en même temps que les lois Jules ferry sur l’école publique obligatoire), le
ministre de l’Instruction publique institue les “bibliothèques scolaires” qui forment
le premier réseau national de lecture publique, rurale et gratuite. Il lance un appel
aux initiatives privées qui fut entendu par toutes les familles politiques et
religieuses. A côté des bibliothèques des Amis de l’instruction, apparaissent des
bibliothèques populaires, des bibliothèques communales, scolaires.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le département de Saône-et-Loire compte
cinq bibliothèques populaires (Chagny, Charolles, Mâcon, Paray-le-Monial,
Tournus) et cinq bibliothèques publiques (Autun, Chalon-sur-Saône, Charolles,
Cluny, Louhans) et bien entendu de nombreuses bibliothèques paroissiales,
communales et scolaires.
À Sagy, la bibliothèque scolaire ne sera créée que beaucoup plus tard, la
municipalité n’en voyant pas l’utilité ; “M. le maire a donné connaissance au
conseil municipal d’un arrêté de son excellence le Ministre de l’Instruction
publique et des cultes à la date du premier juin dernier qui prescrit
l’établissement dans chaque école primaire publique d’une bibliothèque scolaire
et invite le conseil municipal à délibérer sur l’opportunité de l’établissement de
cette bibliothèque. Le conseil municipal, considérant que l’établissement d’une
bibliothèque dans l’école primaire serait inutile par suite de la non fréquentation
de cette bibliothèque de la part des habitants non plus que des élèves, a été
d’accord à l’unanimité qu’il n’y avait pas lieu de s’occuper de l’établissement
d’une bibliothèque scolaire(18). C’est la bibliothèque des Amis de l’Instruction qui
apportera les premiers moyens de culture par le livre dans notre commune.

Les sociétés de Amis de l’Instruction aujourd’hui
Le développement de nombreuses bibliothèques à travers la France et
l’instauration de l’école publique, gratuite, laïque et obligatoire en 1882 entraînent
une généralisation de l’instruction qui provoque la disparition progressive des
Sociétés des Amis de l’instruction. Il n’en reste que deux. à ma connaissance, la
parisienne et la bressane, mais leurs activités sont aujourd’hui différentes.
Si la Société parisienne a conservé sa fonction de bibliothèque. Elle a de moins en
moins de lecteurs, cependant, avec ses 20 000 volumes acquis entre 1850 à 1930,
elle est surtout fréquentée actuellement par des chercheurs spécialistes de la
lecture populaire de cette époque. Des manifestations culturelles y sont
organisées ; séminaires, expositions, visites commentées, soirées de lecture. Elle
fonctionne grâce aux cotisations de ses adhérents et à une subvention de la ville de
Paris. La conservation et la remise en valeur de son fonds sont assurées par des
personnes entièrement bénévoles, en grande partie des professionnels qualifiés du
livre et des bibliothèques.
La Société de Sagy, créée seulement en 1893, dans une région culturellement
moins en pointe que la région parisienne, a vu le nombre de ses lecteurs
augmenter jusqu’à la veille de la deuxième guerre mondiale. Pendant le conflit, la
bibliothèque est tombée en sommeil, mais a néanmoins poursuivi ses activités
jusqu’en 1966 (le dernier livre a été acheté en 1963) à la mort de son président
Fernand Hugonnot. En 1974, Robert Petit, alors maire, et très attaché à l’essor de
sa commune, décida de la relancer. Elle est également animée par une équipe de
bénévoles. Mais là, aucun professionnel, seulement des amateurs amoureux de
leur terroir.
En 1974, nous avons tenté de relancer la bibliothèque, mais le nombre insuffisant
de livres et leur mauvais état ne permettaient pas d’intéresser les lecteurs. Cette
activité a été abandonnée au bout de quelques années et les ouvrages mis en dépôt
à la bibliothèque municipale qui venait d’être créée.

Nos nouvelles activités sont axées sur la préservation du patrimoine local
(histoire, traditions. techniques disparues) et la mise en évidence des liens entre le
passé et le présent. La réalisation de ces objectifs passe par l’édition d’un bulletin
annuel, l’organisation d’expositions et la publication d’ouvrages sur Sagy ou la
Bresse.
L’association parisienne, qui a conservé son aspect et sa disposition d’origine, est
un véritable lieu de mémoire dans lequel survit, en plein Paris, l’atmosphère du
temps de sa fondation. Sa nouvelle orientation lui assurera certainement encore
une longue existence.
Je souhaite, quant à moi, que notre société bressane continue à fonctionner grâce à
l’intérêt que lui porte une grande partie de la population de Sagy et des communes
environnantes.
Je remercie particulièrement Madame Jacqueline Guilbaud, présidente d’honneur
de la Bibliothèque des Amis de l’instruction du 3ème arrondissement, pour l’accueil
chaleureux qu’elle m’a réservé et les renseignements qu’elle a bien voulu me
donner.

Bibliographie
– Pascale Marie, La bibliothèque des Amis de l’Instruction du 3ème
arrondissement ; un temple, quartier du Temple, dans Les lieux de mémoire,
tome I : la République, sous la direction de Pierre Nora, Paris, Gallimard, 1985.
– Lectures et lecteurs au XIXe siècle ; La Bibliothèque des Amis de l’instruction,
actes du colloque tenu le 10 novembre 1984, sous la présidence de Madeleine
Rebérioux, Paris, Bibliothèque des Amis de l’Instruction du 3ème arrondissement,
1985.
– Fiche technique de la Bibliothèque des Amis de l’instruction du 3ème
arrondissement.
– Registre des délibérations de la Société des Amis de l’instruction de Sagy.
– Catalogue de la bibliothèque des Amis de l’Instruction de Sagy, Archives
municipales de Sagy.


10 Les lieux de mémoire (sous la direction de Pierre Nora), éditions Gallimard, 1984. page 323 et
suivantes, un article intitulé “La Bibliothèque des Amis de l’instruction. Un temple quartier du
Temple” par Pascale Marie.
11 On trouve parmi les premiers adhérents à la bibliothèque, le sculpteur Auguste Rodin.
12 Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon : philosophe français (1760-1825). Il
développa l’idée du socialisme. Il voulait réformer la société en supprimant toute autorité
politique. Il proposait l’anarchisme et l’association universelle.
13 Proudhon : théoricien socialiste français (1809-1865). Il prôna une société “mutuelliste” sur le
plan économique. Il défendit l’idée de la lutte des classes.
14 Lucien Guillemaut participa activement au développement de la Société d’Agriculture de
L’arrondissement de Louhans « tendant au perfectionnement des procédés de cultures, de tout ce
qui se rapporte aux intérêts de l’industrie agricole ».
15 Hôtel particulier du XVIIe siècle ayant appartenu à C. Montrésor, favori de Gaston d’Orléans,
frère de Louis XIII.
16 Registre des délibérations de la Société des Amis de l’instruction de Sagy.
17 Registre des délibérations de la Société des Amis de l’Instruction de Sagy.
18 Registre des délibérations du conseil municipal de Sagy, séance du 19 octobre 1862.