par Hélène Personnaz

S’il est un point commun aux conférences données au printemps 2016 à la BAI, c’est d’avoir donné à imaginer le Paris du XIXe siècle dans le quotidien de ses habitants.

Avec la sociologie de la lecture populaire brossée par Étienne Naddeo, nous avons vécu l’accession à l’écrit de masses qui en avaient été jusqu’alors écartées. Les progrès de l’impression ont d’abord touché les journaux qui ont connu une véritable explosion tant pour le nombre d’exemplaires reproduits que pour le nombre des titres, puis les livres qui se sont diffusés grâce à des éditions populaires, accessibles à des bourses plus modestes.

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Le Cabinet des chiffoniers de Madame Lecœur, Gravure de Just L’Hernault, d’après Charles Yriarte (1832-1898), Le Monde illustré, Paris, 1862

Partant des Cabinets de lecture aux ambitions très diverses, obéissant à des logiques marchandes et ne touchant que rarement les couches populaires, Étienne Naddeo a montré comment les bibliothèques populaires, apparues à partir de 1861, témoignaient d’une ambition de diffusion culturelle, dans un esprit qui présida, parallèlement, au développement des cours du soir. Ces bibliothèques ont pu naître grâce à la rencontre entre une bourgeoisie éclairée, dont il était important d’avoir la caution, et le monde ouvrier. Avec le principe du prêt à domicile, elles ont élargi le cercle des lecteurs, à la maison et à l’atelier. Lorsqu’Étienne Naddeo évoque la naissance de la bibliothèque d’Asnières, avec son attention portée à l’existence d’un fonds “jeunesse”, parce que l’on fondait beaucoup d’espoirs dans ces enfants nouvellement concernés par l’instruction, lorsqu’il évoque la présence parfois majoritaire de femmes parmi les adhérents, on comprend que cette affaire de lecture a été prise en main par le mouvement associatif dans une perspective qui menait tout droit à la lecture publique. Celle-ci a certes sonné le glas de la quasi totalité des bibliothèques populaires, mais elle en a aussi été la consécration. (Soirée du 14 avril 2016).

Si l’implantation du Cimetière du Père Lachaise à partir de 1804 devait répondre à une question de salubrité publique soulevée dès 1737, Danielle Tartakowsky nous a fait mesurer à quel point le symbole pouvait recouvrir et dépasser la dimension d’hygiène et d’aménagement du territoire décidé par les édiles.

Les débuts furent marqués par la nécessité d’intéresser à ce cimetière paysager une bourgeoisie nouvellement enrichie et ne possédant pas de caveau de famille. On y fit transporter, pour attirer le client, les restes très présumés de La Fontaine, Molière, Héloïse et Abélard. Il va de pair avec l’invention de la concession perpétuelle, une autre forme d’éternité. Quatremère de Quincy, déjà maître d’œuvre du Panthéon, est chargé de le concevoir (pour ce qui concerne la partie d’origine, “romantique”) et, de fait, il l’imagine comme un autre Panthéon. L’Histoire fait qu’il sera approprié par des oppositions successives, en premier lieu avec la présence des tombes des généraux napoléoniens qui, sous la Restauration, se côtoient en une véritable colline des mal aimés du régime. Sur le tombeau du Général Foix, David représente un cortège funèbre aux allures de manifestation. Il faut attendre le Second empire pour que le Père Lachaise s’impose comme le lieu où il est de bon ton d’être enterré. Sous la Troisième République, le pouvoir se réapproprie l’espace dans un souci d’ordre moral en y faisant élever une statue spectaculaire en souvenir des généraux Lecomte et Thomas, tués par les Communards ; une France guerrière écrase de son pied le serpent de la révolte. Mais à leur tour, après l’amnistie de 1880, les survivants de la Commune, via les organisations ouvrières émergentes, font du “Mur” du Père Lachaise un lieu de rassemblement annuel en hommage à leurs morts de mai 1871. Manifestation très encadrée par la police,

Il faudra attendre 1908 pour que ce lieu de sépulture d’une partie des victimes de la Semaine sanglante devienne concession perpétuelle et porte la plaque : Aux morts de la Commune, 21-28 mai 1871. Malgré le minimalisme de la mention, l’irruption du mot “Commune”, constitue une victoire. À partir de là, le périmètre va devenir, progressivement agrégé aux intellectuels, résistants, dirigeants du parti Communiste, “comme un espace de substitution capable de construire une autre forme de sacralité par l’histoire et par le sang des martyrs, avec des mémoires emboitées.” (Soirée du 12 mai 2016).

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Le cimetière du Père Lachaise resta donc plus d’une cinquantaine d’années hors les murs, jusqu’à l’agrandissement de la capitale, en 1860. Paris change de visage, comme nous l’a dit Christiane Demeulenaere-Douyère, pour résumer ce grand bouleversement administratif qui double la superficie de la ville et fait passer sa population de un million cent mille habitants à un million sept cent mille. Il s’agit d’annexer les communes qui se trouvent situées entre le mur d’octroi des Fermiers généraux et l’enceinte de Thiers, afin de les intégrer dans le plan d’aménagement global de la ville, d’augmenter la sécurité (les forces de l’ordre sont en effet plus nombreuses par nombre d’habitants à Paris que dans les communes visées) et, vraisemblablement, de rattraper par l’imposition les habitants que les travaux d’Haussmann ont rejetés à l’extérieur. Les communes de Passy, Auteuil, Batignolles-Monceau, Montmartre, La Chapelle, La Villette, Belleville, Charonne, Bercy, Vaugirard et Grenelle sont supprimées. Des portions de six autres communes sont annexées.

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Le droit d’octroi est repoussé jusqu’à la limite de la seconde enceinte. La mise en œuvre de la décision est précédée d’une enquête publique. Les oppositions se manifestent essentiellement à propos du droit d’octroi qui va peser sur des industriels, qui y échappaient jusqu’alors, et sur les particuliers pour les denrées de consommation courante. Mais les possibilités de faire reconnaître les réticences sont assez faibles. La parole est surtout aux humoristes qui se saisissent de l’événement dans la presse.

Comment passer de 12 à 20 arrondissements ? Quel plan adopter ? Comment prendre en compte les susceptibilités ? Comment éviter les doublons de noms de rue ? Comment harmoniser superficies et nombre d’habitants ? Le récit est émaillé d’anecdotes réjouissantes. Quant aux attentes des nouveaux Parisiens pour bénéficier de mesures d’aménagement à la hauteur de ceux de “l’ancienne” capitale, notamment en matière de voirie, elles mettront fort longtemps avant d’être satisfaites. (Soirée du 23 juin 2016).

C’est précisément dans ce contexte en pleine mutation qu’évoluèrent les protagonistes de la Chronique familiale dans le Paris du XIXe siècle évoquée lors de la soirée du 9 juin 2016 : une jeune fille révoltée, un photographe méconnu et un plumitif sans gloire, venus du village des Batignolles.

Portrait d'Adèle Godet

Portrait d’Adèle Godet, une jeune fille dans la Commune

 

Les enregistrements de ces quatre soirées sont écoutables à partir du Kiosque aux conférences du site de la BAI.